• La Flûte enchantée mise en scène par William Kentridge à l’Opéra de Rouen

    Ce mardi soir, j’ai une place en corbeille à l’Opéra de Rouen pour La Flûte enchantée et celle qui m’accompagne revenue spécialement de Paris pour cela ne doute pas d’en trouver une de dernière minute à cinq euros. C’est le cœur léger qu’elle et moi, après avoir salué les ouvreuses qui fument dehors avant l’effort, tournons le coin du bâtiment une heure et quart avant le début de l’opéra et là, consternation, une file d’attente comme jamais vue est déjà là s’étirant sur le parvis. Au moins une centaine d’étudiants et d’étudiantes nous précédent, Mozart, il est trop connu. Découragée, elle envisage de laisser tomber. Je la convaincs du contraire mais quand, à l’ouverture des portes, je la laisse attendre, je ne lui donne pas grand chance de pouvoir me rejoindre, aussi suis-je stupéfait de la voir arriver dix minutes plus tard rayonnante un billet à la main.

    -Mais comment tu as fait ?

    Elle m’explique qu’apercevant une famille avec un billet en trop, elle s’est manifestée à grands gestes et qu’on lui a donné cette entrée. Je suis vraiment content pour elle et rassuré pour moi, je n’avais pas envie d’être là en solitaire. Nous devons néanmoins nous séparer.  Elle est au deuxième balcon. Je suis en corbeille. Ma place, que je croyais bonne, a son champ de vision gêné par l’avancée du premier balcon.

    Tandis que la salle s’emplit, je lis les notes de William Kentridge, le metteur en scène, vidéaste et sténographe de cette Flûte créée le vingt-six avril deux mille cinq à Bruxelles, au Théâtre de la Monnaie devant lequel nous étions la semaine dernière (la place est en travaux, ce qui n’incite pas à s’attarder). Tout est parti de l’envie de dessiner sur un tableau noir avec une craie blanche, explique-t-il. Au dernier moment, je déménage profitant d’une place restée libre à deux fauteuils de celui du Conseiller Général socialiste de mon canton qu’assurément je n’ai encore jamais vu là, à croire qu’il faut se faire voir à Mozart.

    Le tableau noir est présent sur scène. S’y accrochent parfois trois moutards jouant les génies à la voix chétive sur tapis roulant. Ces tapis roulants amènent ou emmènent parfois les interprètes, ce qui les rend paradoxalement statiques. Globalement, je trouve que ça bouge trop peu. Marie-Bénédicte Souquet, la Reine de la Nuit, est plantée souvent. Côté chant, elle se sort assez bien de son morceau de bravoure. En revanche, Guillaume Paire, qui fait Papageno, bouge bien mais chante faible. Ma préférée, c’est Olivia Doray, une Pamina à la superbe voix bien audible. Les costumes, début vingtième siècle, vont bien. Le mieux, c’est la scénographie qui exploite savamment le dessin blanc (parfois animé) projeté par la grosse machinerie nécessitant des tuyaux d’aération vers l’extérieur de la salle. Rien de gratuit dans cette mise en scène, de l’humour juste ce qu’il faut, un graphisme souvent percutant plein de références maçonniques. William Kentridge mérite beaucoup d’applaudissements. Il n’est pas là pour les recevoir.

    Première fois qu’elle et moi voyions La Flûte enchantée. Elle l’aime plus que moi, nous le constatons à l’issue, échangeant nos impressions et croisant certains des musiciens devant la sortie des artistes.

    -Onze heures et quart, constate l’un, le match doit être terminé, dommage.

    *

    Dans une bouquinerie rouennaise, deux trentenaires vendent leurs livres de philosophie. Pendant qu’il aide le libraire à vider les cartons, elle cherche en échange des ouvrages au rayon « Equilibre et bien-être ». Cela donne à penser.

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