• La guerre de Quatorze/Dix-Huit de grand-père Jules en quatre épisodes (deux)

    Voici Jules Perdrial, mon jeune grand-père, au cœur de ce qu’on appelle la Grande Guerre :

    (…) nous embarquons à la tombée de la nuit dans des camions qui sont très nombreux mais dont les conducteurs nous informent qu’ils seront beaucoup moins nombreux à venir chercher ceux d’entre nous qui auront la chance de s’en tirer indemnes.

    Nous débarquons dans la forêt de Regret (…) et la nuit venue nous partons pour Fleury-devant-Douaumont où nous nous entassons dans des caves, toutes les maisons ayant été démolies et les obus tombant presque continuellement…

    Après 3 ou 4 jours passés ainsi nous avons relevé la nuit les gars qui étaient en 1ère ligne, nous avions tout près devant nous le village de Douaumont, en ruines, pas loin, mais plus près encore les Allemands dans leurs tranchées, nous étions même à un endroit dans la même tranchée, séparés par un espace d’une quinzaine de mètres entre deux petites barricades, que nous avons fait reculer de plusieurs dizaines de mètres par une attaque à la grenade au petit matin, mais cela n’améliora pas notre situation, il y avait des cadavres sur le parapet, et quelques-uns dans notre tranchée…

    Nous ne recevions plus aucune nourriture, les hommes qui devaient nous ravitailler se trouvant généralement tués ou blessés en route, nous ne trouvions que du chocolat dans les musettes des morts mais souffrant déjà d’une soif presque intolérable nous ne pouvions en manger.

    Au bout de quatre jours, grand-père Jules peut regagner l’arrière, de nuit :

    … nous étions presque méconnaissables, amaigris, longue barbe, couverts de boue séchée, mais nous nous trouvions relativement bien heureux d’être sortis de cet enfer.

    Je garde de cette période de repos un pénible souvenir, un homme du régiment l’avait quitté au moment où nous montions en ligne pour aller paraît-il voir sa famille à Paris, il revint ou fut ramené, jugé pour désertion devant l’ennemi, c’était en récidive, il fut condamné à être fusillé, tout le régiment assista à cette exécution.

    Après avoir reçu des renforts, le régiment de grand-père Jules (deux cent dix hommes) repart à Douaumont

    … face au fort toujours occupé par l’ennemi, mais que nous étions chargés de reprendre.

    Ce jour-là, dans la matinée, massés face à l’objectif, nous étions bombardés par l’ennemi mais nous recevions aussi les obus de 400 mm dont notre commandement avait pris soin de nous vanter la puissance et l’efficacité au cours d’un rassemblement qui avait eu lieu les jours précédents, et dont nos artilleurs se servaient pour la 1ère fois, ces obus ne tombaient pas très nombreux mais quand il en tombait un dans notre tranchée plusieurs hommes étaient projetés jusqu’à 6 ou 7 mètres en l’air et généralement tués…

    Un courageux volontaire nommé Vincent se charge d’alerter l’arrière et tout rentre dans l’ordre.

    Arriva l’heure H (aux environs de midi) derrière nos gradés nous sortîmes tous des tranchées pour nous élancer dans la direction du fort, je n’allais pas loin, un obus de petit calibre tomba à 3 ou 4 mètres de moi, je reçus un éclat dans la cheville, pied gauche, je m’assis quelques instants dans un trou d’obus, puis me rendant compte que ma blessure étant chaude je pouvais encore marcher, ce qui n’allait pas se prolonger bien longtemps, je partis vers le poste de secours…

    Quand il y arrive, on lui dit de marcher aussi loin que possible en direction de Verdun, puis le petit meusien (train à voie étroite) l’emmène à Revigny où on lui fait une piqûre antitétanique. Un autre train l’emmène à Sens (Yonne). Un hôpital y est installé dans une église désaffectée.

    … après une opération pour enlever l’éclat, mon pied s’infecta, gonfla, prit une teinte violette, je souffrais beaucoup, ma température s’installa à 38/38.5.

    Un mois passa, puis le médecin qui commençait à craindre la gangrène, tenta une opération au thermocautère, des pointes de feu profondes, sans anesthésie, autant dire la torture, je ne pouvais guère bouger 4 hommes me maintenaient sur mon lit, mais je hurlais à chaque pointe de feu. Le résultat fut que l’infirmière trouva le lendemain matin, une grande flaque de sang dans mon lit, une hémorragie dont je n’avais pas eu connaissance. L’après-midi, je fus de nouveau opéré, sous anesthésie cette fois, le chirurgien m’avait prévenu qu’il allait peut-être être obligé de me couper le pied, j’eus la satisfaction à mon réveil de constater que j’étais encore bipède…

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