• Ce jeudi soir, un peu avant vingt et une heures, je suis parmi celles et ceux, mélange de touristes et d’autochtones, qui attendent l’ouverture de la porte étroite de l’abbatiale Saint-Ouen, regardant deux jeunes hommes qui, passant par là, en chemin vers quelque fête alcoolisée, se sont arrêtés et hésitent. Faut-il ou non se joindre au troupeau ? L’un d’eux vient me voir et me demande si je sais pourquoi on attend ici.

    -Oui, lui réponds-je sans lui en dire davantage.

    Déconcerté, il ose à peine m’interroger sur ce qui doit se passer

    -Une sorte de son et lumière d’intérieur, lui dis-je.

    Celles et ceux devant moi avançant je suis et ne sais si lui et son camarade décident d’entrer ou non. La plupart des présent(e)s se précipitent sur des chaises et lèvent le nez vers la voûte de l’édifice. Celle-ci et les piliers sont le réceptacle d’images animées filmées dans une véritable allée d’arbres de l’Eure et envoyées sur la pierre à l’aide d’énormes projecteurs inesthétiques. Cela se nomme Gothique frémissant. C’est une animation temporaire de Rouen Parc à Thèmes.

    Projeter une haute futaie sur l’architecture gothique est pléonastique mais sied aux assis d’ici. Nous passons par les quatre saisons et toutes les heures du jour et de la nuit. La bande son me rappelle les disques de bruits de la nature que je faisais entendre à mes élèves de maternelle autrefois, tonnerre, hibou, ruisseau et corneilles. Trop souvent des éclairs heurtent le regard, ce sont ceux provenant des appareils des multiples photographes occupés à tous faire la même photo. Sur les piliers devenus troncs sont également projetées des sentences évoquant la nature, un vrac directement issu de sites de citations du genre Evene, de Racine à Coluche en passant par n’importe qui. Au bout des dix minutes, les applaudissements résonnent. Je sors et retrouve avec intérêt les arbres du jardin de l’Hôtel de Ville.

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  • C’est un mercredi d’habitude à Paris, sous le ciel bleu, je passe de Book-Off à Gibert Joseph puis déjeune de toujours le même menu à l’Hostellerie de l’Oie qui Fume, rue de la Harpe. En face, la fille photochopée d’Etam m’aguiche. Sorti de là, il fait trop beau pour s’enfermer dans un musée ou une galerie d’art. Je préfère glandouiller sur l’autre rive dans le jardin de la tour Saint-Jacques où la pelouse était en repos hivernal jusqu’au quinze avril. Aujourd’hui, seize, on y trouve davantage de corps allongés que de pâquerettes.

    Le meilleur moment de la journée se déroule Chez Léon en fin d’après-midi devant une limonade offerte par celle qui sèche exceptionnellement le labeur. Au soir, un train sans retard me reconduit à Rouen. Je lis un livre que je sais avoir déjà lu, dans l’élégante édition de poche du Serpent à Plumes, et qui me déçoit : Stratégie pour deux jambons de Raymond Cousse dont décidément je n’aime que les pamphlets.

    *

    Autres livres rapportés de Paris : le tome dix des Œuvres complètes d’Antonin Artaud consacré aux Lettres écrites de Rodez (Gallimard) et Le Second Enfer d’Etienne Dolet natif d’Orléans, « impye, scandaleux, scismatique, hereticque, faulteur et deffenseur des hereticques et erreurs, pernicieux à la chose publique » aux Editions Artulis, très bel ouvrage dont même les tranches sont illustrées, tiré à seulement deux cent cinquante exemplaires en deux mille douze au prix de deux cent trente euros l'unité. L’exemplaire soixante-quinze est devenu mien pour trois euros (il manque l’étui où il nichait).

    *

    « Étienne Dolet vient d’avoir trente-huit ans quand on le brûle avec ses manuscrits et ses livres, à Paris, place Maubert, le 3 août 1546, jour de son anniversaire et de la saint Étienne. » rappelle Pierrette Turlais dans sa préface. Ce qu’il en coûtait d’être imprimeur au seizième siècle.

    *

    Dans un café parisien :

    -Le prof m’a demandé de choisir un terrain pour l’année prochaine.

    -Un terrain ?

    -Un terrain d’étude.

    *

    Promesse double : Champagne à la coupe/Fromage à la coupe.

    *

    Au retour sur France Cul j’entends les décisions de Valls pour récupérer des milliards. Le journaliste déclare sans rire que l’Etat fera le plus gros effort en gelant le salaire des fonctionnaires.

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  • Réjouissante lecture que celle des Mémoires de la marquise de La Tour du Pin (que publie le Mercure de France), rédigés pour le seul fils survivant de ses six enfants, sous-titrés Journal d’une femme de cinquante ans, bien qu’elle dise dans le texte avoir plus de soixante-dix ans quand s’interrompt leur écriture (la suite de sa vie est connue grâce à sa correspondance) et aventureuse vie que celle de cette aristocrate prise dans les turbulences de la Révolution, de l’Empire et de la Restauration, des bouleversements qui lui valent plusieurs exils dont une fois en Amérique où elle devient fermière (une expérience à laquelle elle met fin à regret, rendant la liberté à ses esclaves). Il me faut longtemps avant de penser que cela me dit quelque chose, que j’ai déjà dû la lire. Une recherche à l’intérieur de ce Journal me le confirme. C’était en deux mille huit. Pas de quoi me rassurer sur l’état de mon cerveau (pourtant je connais le prénom de celui à qui on pense quand on oublie tout).

    La description que fait Madame de La Tour du Pin de Louis le Seizième avait déjà attiré mon attention à cette date. Elle a la dent dure, la Marquise.

    Le Roi n’est pas seul à en faire les frais :

    Mme la princesse de Bouillon avait été mariée très jeune au dernier duc de Bouillon, qui était imbécile et cul-de-jatte. Elle vivait avec lui à l’hôtel de Bouillon sur le quai Malaquais. On ne le voyait jamais, comme de raison, et il restait toujours dans son appartement, en compagnie des personnes qui le soignaient. Cependant on l’apportait tous les jours pour dîner avec sa femme, et j’ai vu quelquefois leurs deux couverts mis en face l’un de l’autre. Grâce au ciel, je n’ai jamais eu le malheur de rencontrer ce paquet humain informe porté sur les bras de ses gens.

    Sa vie de cour prend donc brutalement fin avec la Révolution :

    Je ne savais où me retirer : mon mari était en fuite, mon père et mon beau-père étaient emprisonnés, ma maison avait été saisie, et mon seul ami, M. de Brouquens, se trouvait en état d’arrestation chez lui. A vingt-quatre ans, avec deux petits enfants, que devenir ?

    Elle s’en sortira et, bien plus tard, en mil huit cent vingt-quatre, de son exil de Turin, écrit à l’une de ses connaissances :

    Dans l’été il n’y a plus de société à Turin ; les jeunes femmes vont toutes à la campagne pour expier les robes de tulle et les chapeaux de l’hiver, et pour songer comment elles feront pour en avoir d’autres l’hiver d’ensuite ; aussi pour faire l’enfant, qu’elles font toutes, régulièrement, tous les carêmes, afin d’être accouchées et rétablies avant le Carnaval, et avoir envoyé cet enfant à la campagne, d’où on ne le fait revenir que lorsqu’il revient tout seul.

    Deux autres extraits de cette correspondance, quatre ans plus tard :

    Croyez-vous que je ne sois pas indignée que Mlle de Montmorency épouse un petit gentillâtre comme M. de Couronne ? et pourquoi fallait-il que cela se mariât ?

    Voilà donc Mme de Chalais morte ! C’est une des personnes du monde que j’ai toujours trouvée la plus déplaisante, ce qui fait que cela m’est égal…

    La Marquise meurt à Pise le deux avril mil huit cent cinquante-trois. Il serait bien que je ne reprenne pas ce livre dans six ans (si je suis encore vivant) en pensant ne l’avoir jamais lu.

    *

    Deux des bêtes noires de la marquise : les dames de l’aristocratie dont la moralité laisse à désirer : femmes perdues de mœurs et les femmes révolutionnaires : poissardes ou lie du peuple.

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  • Un carreau changé à la fenêtre donnant sur la rue et me voici ce lundi après-midi entrant chez Brico Dépôt, avenue du Mont-Riboudet, où j’espère trouver à prix moindre qu’en supermarché l’adhésif pour l’opacifier et ainsi empêcher le quidam de voir chez moi.

    L’Enfer sur terre, tel m’apparaît ce lieu dédié au bricolage. Même l’odeur des matériaux me répugne. Tous ces hommes déambulant à la recherche de ce qui leur fera faire une deuxième journée de travail après celle terminée à l’usine ou au bureau me donnent envie de fuir. Néanmoins, ayant trouvé un employé, je lui demande si et où. Il m’envoie à la menuiserie dans un autre bâtiment. Là, un employé ouvre un catalogue et m’annonce un rouleau à vingt-cinq euros, bien plus cher qu’en supermarché.

    Je ressors donc sans et n’étant pas loin du Marégraphe, j’en profite pour aller boire un café verre d’eau en terrasse au bord de la Seine. L’établissement a changé de propriétaire. Celui-ci a des idées pour gagner plus de sous : extension de la terrasse à l’aide de nouvelles chaises et tables en plastique bien moins élégantes que les précédentes, goûter de crêpes et augmentation des prix. Mon café est désormais à un euro soixante.

    La clientèle est étudiante ce lundi. Ce sont d’abord deux Japonaises qui me côtoient mais elles changent de place pour aller se coller à l’ombre contre le mur, puis craignant vraiment le bronzage se réfugient à l’intérieur. Derrière moi s’installent une brune et une blonde. Cette dernière est en convalescence, se remettant d’une intoxication au monoxyde de carbone dont elle a été victime alors qu’elle prenait une douche dans sa colocation Erasmus à Budapest.

    -J’étais toute nue avec de l’après-shampoing dans les cheveux quand je me suis réveillée à l’hôpital.

    Des éclats de voix se font entendre venus de l’autre rive où est installé le cirque Amar. De temps en temps passe une péniche.

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  • Samedi, aux aurores, je n’ai pas à marcher longtemps pour être au vide grenier du quartier Augustins Molière où les exposant(e)s déballent, certain(e)s énervé(e)s, d’autres mal réveillé(e)s, tandis que la Police Municipale fait enlever les voitures gênantes par la fourrière. Je croise là sans plaisir mes habituels concurrents à la recherche de livres. Ceux-ci s’avèrent rares.

    Ce quartier n’est jamais très folichon. L’atmosphère cette année est encore plus pesante. Toutefois, pas loin de la place Saint-Marc, règne une certaine animation due à l’arrivée de vendeurs au taux d’alcoolémie élevé, un serveur de bar bien connu et quelques-uns de ses clients rockeurs. Ils n’ont manifestement pas dormi de la nuit et déballent dans le désordre. L’un d’eux va aller garer la camionnette. Je me tiens prudemment à l’écart.

    Croisant l’une de mes connaissances, je lui demande s’il a trouvé quelques bons vinyles. Peu, me dit-il, ce qui est quand même mieux que moi pour les livres. Et puis, il en a marre de la concurrence. Dès qu’il se penche sur un carton de disques, ils sont tous là à les lui disputer.

    Je lui demande où il ira demain dimanche.

    -En région parisienne, du côté de Rambouillet.

    -Tu crois que ce sera différent là-bas ?

    -Non, mais au moins ce ne sera pas les mêmes gueules.

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  • Ayant reçu l’élégant carton d’invitation noir qui donne le droit de découvrir en avant-première l’exposition Cathédrales Un Mythe Moderne au Musée des Beaux-Arts de Rouen, je m’y rends vers quinze heures ce jeudi et trouve sur place celles et ceux que je m’attendais à y voir, pour qui l’exposition est faite, membres de cette bourgeoisie locale qui n’aime rien davantage que les œuvres d’art historiques, patrimoniales, présentées de façon thématique et pédagogique.

    Goethe et Victor Hugo, Cologne et Paris, du mobilier et des ustensiles religieux, le tout dans une lumière inspirée, il y a heureusement dans ces premières salles une petite Esméralda un peu excitante due à Charles Steuben. Suivent les pierres et les gargouilles, dans une salle où des employés fixent les derniers cartels, avec un incongru Monstre de Notre-Dame de Chagall, pas du tout dans l’ambiance. Sous la verrière, en transition, sont présentées des maquettes de flèches.

    Dans l’autre partie, Monet est en gloire avec ses Cathédrales de Rouen (outre la locale, trois venues de Paris), dont le sujet n’est justement pas le bâtiment qu’elles montrent mais la lumière sur celui-ci, ce que n’a pas compris son camarade en impressionnisme Sisley avec ses trois Eglises de Moret. On passe ensuite de Redon à Rodin ou l’inverse puis chez les Symbolistes avec un Moreau et la Guerre arrive. Un grand tableau, sans cartel pour me dire de qui, montre un tas de gravas avec un texte peint sur la toile : « La Cathédrale d’Arras pendant la guerre, tableau interrompu par la chute d’un obus de gros calibre, le 20 Mai 1916 ». J’aimerais savoir comment le peintre s’en est sorti. La Modernité est éclairée davantage et montre pas mal d’œuvres que je classe dans la catégorie des horreurs, signées Delaunay, Feininger, Friesz, Marquet, Luce ou Le Sidaner. On y trouve toutefois les regardables Cathédrale de Limbourg d’Helmuth Macke (cousin d’August et peignant comme lui), Notre-Dame de Pablo Picasso et La Cathédrale de Nicolas de Staël.

    Une brochure en noir et or accompagne le carton d’invitation. On ne peut y lire la présentation de l’exposition, mais une succession de tribunes offertes aux différentes entreprises privées et publiques la finançant. Elles s’y félicitent de leur générosité. Inutile d’espérer qu’un jour prochain le Musée des Beaux-Arts de Rouen s’émancipe de la chape de localisme qui l’affecte depuis plusieurs années.

    *

    Le soir venu, au premier balcon de l’Opéra de Rouen, je suis bien placé pour assister à Yo Gee Ti, chorégraphie de Mourad Merzouki, Directeur du Centre Chorégraphique National de Créteil, donnée par sa Compagnie Käfig et des danseuses taiwanaises. Le livret programme parle de tissage et de métissage, ceux du hip hop et de la danse contemporaine d’Asie. Dès l’apparition de la troupe, cela tisse et cela métisse en effet en une chorégraphie pleine d’invention avec effet miroir soutenue par une musique adéquate. Au bout d’une heure dix, conquis comme la plupart, j’applaudis chaudement.

    *

    Vendredi matin, revenant du Rêve de l’Escalier par la rue du Gros, je vois surgir de la rue de la Champmeslé, face à moi, un jeune coureur à pied entièrement nu et épilé. Il file, offrant l’image de ses fesses blanches à des piétons aussi surpris que moi. L’un d’eux émet une hypothèse audacieuse :

    -Ce doit être un étudiant en médecine.

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  • Le beau temps est assuré ce mercredi à Paris. Approchant de Saint-Lazare, je décide de commencer la journée par un fouinage dans la bouquinerie Boulinier proche de la Cité Internationale Universitaire (un conseil de Philippe Dumez) et consulte à cette fin mon guide Taride vieux de plusieurs décennies. Je découvre que le bus Vingt et Un y menait directement. Est-il toujours là ? Oui et me voici bientôt en chemin. Il ne faut pas être pressé mais on passe par de bien beaux endroits.

    J’arrive boulevard Jourdan au moment où Boulinier ouvre et y suis accueilli par un chaleureux bonjour que jamais je n’entends dans celui du boulevard Saint-Michel. La marchandise est aussi mieux rangée et plus propre. Cependant je n’y trouve rien d’indispensable. Traversant la voie du tramouais, je vais me balader dans la cité estudiantine internationale à l’architecture variée, me souvenant d’un pique-nique un soir sur cette pelouse avec celle qui, après avoir hier rencontré une célébrité mondiale de l’architecture, est aujourd’hui pour la journée à Amsterdam où elle travaille à l’une des folies d’un richissime homme d’affaire français. Je sais qu’elle préfèrerait être là avec moi.

    A l’heure du déjeuner je découvre une rue dont j’avais oublié le nom, celle de l’Amiral-Mouchez dans laquelle mon frère Jacques décédé eut pendant quelque temps son adresse dans les années quatre-vingt, impossible de retrouver précisément où. C’est dans cette rue que je déjeune, à la terrasse du Sauldre, une brasserie à la cuisine banale (chiffonnade de bœuf, basse côte potatoes, un quart de côtes-du-rhône, seize euros trente), essayant de me revoir autrefois, tel que j’étais dans cette rue, ne songeant pas un instant que j’y mangerais trente ans plus tard. Deux femmes à ma gauche trouvent la basse côte trop grasse. « Comment vont tes enfants ? » demande la septuagénaire à la quinquagénaire. Celle qui va le moins bien, c’est son Inès. Elle a dû revenir à la maison car le monde du spectacle ça va mal. Là, elle a quand même trouvé un boulot sur un film mais elle ne sera pas payée. Ça lui fera une expérience à mettre sur son cévé. L’autre ça va mieux, il est avocat, mais heureusement qu’il a sa clientèle. Depuis qu’il a commencé, leur nombre a été multiplié par cinq à Paris.

    Le bus Vingt et Un a son arrêt en face. J’y grimpe et en descends au Café Lilou (lequel me fait songer à quelqu’une) pour prendre le Quatre-Vingt-Onze. Il me conduit au bout de la rue Ledru-Rollin, et de là je vais à pied jusqu’à chez Book-Off.

    Le Quatre-Vingt-Seize est là pour m’emmener chez Gibert Joseph d’où un Vingt-Sept me rapproche de l’autre Book-Off. Un vendeur de livres y explique qu’on ne veut plus de lui chez Boulinier parce que les livres, il les trouve dans les poubelles, mais du moment qu’ils sont propres.

    La propreté des livres, c’est justement le critère principal d’achat ici. Je termine Chez Léon, n’ayant pas mis de la journée le pied sous terre, avec dans mon sac un petit livre consacré, sous forme d’anecdotes, aux rencontres entre écrivains italiens et français : Entre nous de Daria Galateria (Sellerio editore Palermo).

    *

    Comment voir près de l’Elysée un camion de déménagement de la société Veyres-Perie basée à Tulle sans se demander si Hollande, Président, ne serait pas sur le point de partir à la sauvette, fuyant l’ampleur des dégâts.

    *

    Un Secrétaire d’Etat aux Sports nommé Braillard, c’est logique.

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  • Ce mardi soir, à l’Opéra de Rouen, c’est musique baroque. Un homme du staff à micro annonce que la bande de musicien(ne)s à l’affiche est la même que celle ayant « gravé au disque » Les Quatre Saisons et que ce cédé sera en vente au foyer avec faculté de le faire dédicacer par les sept de l’Orchestre et le claveciniste new-yorkais Kenneth Weiss.

    Le Concerto numéro cinq en ré mineur de Charles Avison puis le Concerto pour flûte, violon et violoncelle en la majeur de Georg Philipp Telemann sont joués avec enjouement et bien applaudis.

    Quelqu’un(e)s à l’entracte se précipitent vers la table où est vendu le cédé mais je pense qu’il en restera quelques exemplaires pour dans deux ans.

    Le gang reprend avec le Concerto pour flûte, violon et clavecin en la mineur de Johann Sebastian Bach et termine par « L’Estro armonico » concerto en ré mineur pour violon et violoncelle d’Antonio Vivaldi, suscitant tant d’applaudissements qu’un supplément s’impose.

    Tellement connu qu’il n’est pas nécessaire de le nommer, ce bonus permet à Jean-Christophe Falala de faire chanter et briller sa flûte en or.

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  • Etre locataire dans une copropriété, c’est avoir la surprise de découvrir par une affichette sur la porte cochère que la règle du jeu change. Ce huit avril, on a intérêt à être là car tout nouveau rendez-vous vous sera facturé.

    Je suis donc présent ce mardi matin quand arrive une équipe de poseurs de compteurs individuels de consommation d’eau. Ainsi en ont décidé les copropriétaires en assemblée générale. Jusqu’à présent, l’eau était payée dans les charges communes au prorata des dix millièmes. Certains, économes, ont dû juger qu’il était désormais intolérable qu’il paient pour d’autres, gaspilleurs.

    L’ouvrier à qui je montre combien peu accessible est le robinet d’arrêt d’eau près duquel il doit poser mon compteur s’arracherait les cheveux s’il en avait encore. Il s’attaque à la tâche en pestant de temps à autre cependant que je dis à l’un des copropriétaires mon peu d’enthousiasme pour cette nouveauté. Selon lui, ce n’est pas contre les locataires suspectés de gaspiller qu’a été prise cette décision mais pour être à même de dépister une fuite suspectée entre l’arrivée d’eau collective et les compteurs de chacun, dans les tuyaux sous la pelouse.

    Je suis certain quant à moi qu’avec le coût de l’abonnement à ajouter à celui de la consommation, je paierai davantage.

    Je demande à l’ouvrier qui souffle un grand coup quand il en a terminé comment seront relevés les compteurs. De l’extérieur, me dit-il. Avec un magnifique boîtier qu’il me montre.

    Ainsi va le progrès.

    *

    Prochaine étape : la pesée automatique des ordures ménagères afin que chacun paie selon sa production de déchets.

    *

    Avenue du Mont-Riboudet. Des affiches anonymes accusent Morin-Desailly (Sénatrice du Centre) et Pennelle (du F-Haine) d’avoir permis le réélection de Robert (Maire et Socialiste).

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  • Dimanche après-midi, sous un ciel gris, je me rends à l’Opéra de Rouen où le pianiste Mikhaïl Rudy donne concert. En attendant l’ouverture des portes de la salle, j’observe les arrivant(e)s parmi lesquel(le)s une vieille abonnée à chapeau noir et voix forte. Elle retrouve deux connaissances assises à l’une des tables du bar, les quitte un moment pour aller commander une boisson, se rassoit en reprenant la conversation là où elle l’avait laissée. Comme elle s’est trompée de table, le couple qui l’occupe est bien étonné.

    J’ai place en fond d’orchestre du bon côté pour voir les mains de l’artiste. Celui-ci doit avoir une vocation rentrée de cinéaste, sa prestation sera accompagnée de la projection de deux films. Le public est majoritairement d’un certain âge et il reste des places libres. A ma gauche, de l’autre côté de l’allée se trouve la vieille au chapeau noir. Elle le garde sur la tête, mais enlève ses chaussures.

    Mikhaïl Rudy s’assoit au piano muni d’un petit écran de contrôle. Le noir se fait et la vieille femme sans chaussures grommelle : « Ah bah non alors ». Quand apparaissent les premières images elles l’énervent un peu plus : « Ça me déconcentre ». Le film d’animation est une adaptation aux images sombres de La Métamorphose de Kafka signée des Quay Brothers, jumeaux de Philadelphie. Mikhaïl Rudy l’accompagne de divers extraits de compositions de Leoš Janáček aux titres sans équivoque : Pressentiment, La mort, Anxiété indicible, En pleurs. A chaque fois que le cancrelat apparaît sur l’écran, la vieille au chapeau sans chaussures s’émeut : « Qu’est-ce c’est que ça ? ». Il semble qu’elle n’ait jamais lu Kafka. A ma droite, quelque part, un homme ronfle tranquillement. A l’issue, du côté de certaines abonnées de première catégorie, on ne se gêne pas pour dire ce qu’on en pense.

    Pendant l’entracte, alors que je suis tranquillement appuyé contre mon pilier préféré, un abonné m’aborde pour me dire qu’il vient de découvrir mes écritures. Il me pose diverses questions auxquelles je réponds sans enthousiasme. Il en conclut que je suis timide.

    De retour en salle, j’entends qu’on espère beaucoup de la deuxième partie qui sera illustrée d’un film signé du pianiste intitulé Marc Chagall, la couleur des sons. « Au moins, ça va être gai ». Il ne m’étonne pas que ce public aime la peinture gnangnan de Chagall. Pour accompagner les images grossièrement animées provenant de dessins préparatoires à la peinture du plafond de l’Opéra de Paris, Mikhaïl Rudy joue des œuvres de certains des musiciens qui y sont cités, de Gluck à Ravel. On n’entend plus la rouspéteuse. De mon côté, lassé du passage régulier d’anges sur l’écran, je rêve d’un fusil me permettant de descendre quelques-uns de ces volatiles.

    Vient le moment des rappels au nombre de trois. Débarrassé de l’image, j’entends enfin la musique.

    A la sortie, le ciel est devenu d’un bleu chagallien.

    *

    Mikhaïl Rudy est déjà passé par l’Opéra de Rouen en janvier deux mille onze. Relisant mon texte d’alors, je constate qu’à cette date, les images ne me gênaient pas.

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