• Une dernière fois, je suis le seul client des chambres d’hôtes de Toy-Viam dans la nuit de samedi à dimanche, J’y dors bien (c’est le jour que je pense trop). Comme chaque matin, le chien de la maison m’aboie dessus quand je mets le pied dehors et comme chaque matin, l’hôtesse reste debout à me regarder manger, ce qui est un peu crispant. Aussi suis-je bien prêt à aller voir ailleurs après avoir réglé mon quarante-trois fois quatre.

    Il fait beau mais déjà lourd quand je prends la route que mène à Meymac. Juste avant d’y arriver, je bifurque. Une route forestière me conduit à la tour du Mont Bessou, une structure métallique érigée au point culminant du département. Je la gravis. Seul à son sommet, je suis pendant cinq minutes l’homme le plus haut de Corrèze.

    Meymac est un bourg pentu de moyenne importance. Le dimanche matin s’y tient un petit marché sur la place de l’église. Les portes de celle-ci sont ouvertes, ce qui me permet d’entendre l’organiste en exercice depuis la terrasse du Bistrot (nom d’évidence) où je bois un café. Contigüe à cette église est l’abbaye Saint-André devenue Centre d’Art Contemporain. Une exposition y est proposée : Les esthétiques d’un monde désenchanté. Un thème pour me plaire et les noms de Claude Lévêque et David Lachapelle parmi beaucoup qui ne me disent rien suffisent à m’y faire entrer. C’est quatre euros et sur six niveaux. Je vois là beaucoup d’œuvres qui me plaisent, empruntées à différents Frac et aux meilleures galeries parisiennes. Il faudrait tout noter, peintures, photographies, installations, vidéos, mais je me contente de quelques noms : Sarah Jones pour ses photos, le Feather Child de je ne sais plus qui (enfant endormi ou mort en plumes de canard noircies), les Still Life Madonna et Anonymous Politicans de Lachapelle, l’éplucheuse de chaussures de Hesse-Romier, Habiter la viande cuite de Gilles Barbier (Claude Levêque n’est présent que par un drapeau noir marqué d’un « la nuit pendant que vous dormez, je détruis le monde » qui fait sous Ben). A l’avant-dernier étage, une œuvre hyperréaliste retient mon attention, homme et fillette assis par terre devant une vidéo, jusqu’à ce qu’elle se tourne vers moi et que je comprenne qu’il s‘agit d’un père et de sa fille. Je ne suis donc pas le seul visiteur.

    A midi, je déjeune en bord de route calme, face à une imposante maison à vendre dont les fenêtres sont mangées par le lierre, à l’hôtel restaurant Le Meymacois, où nous ne sommes que trois (les deux autres à l’intérieur), d’un menu à seize euros pas mieux qu’ailleurs : salade de crudités, araignée de porc avec frites maison dont la patronne m’a dit grand bien mais qui s‘avère sèche « Ça va monsieur, vous vous régalez ? » « Oui, oui », deux boules de glace pistache rhum raisin.

    Il est temps de songer à se loger. Je prends une route secondaire qui mène à Egletons et découvre à Maussac-Gare un vide grenier à peine plus grand que celui de la veille. Pour cinquante centimes, j’y achète Capillaria ou le pays des femmes de Frigyes Karinthy (l’auteur de Voyage autour de mon crâne), un ouvrage paru en mil neuf cent soixante-seize aux Editions de la Différence dans la collection Chair Pensée avec une préface de Gérard Zwang et des dessins de Stanislao Lepri. En revanche, pas trace de chambres à louer sur cette route, je traverse Egletons, me dirige vers Tulle, oblique au hasard avant d’y être, trouve une pancarte « Chambre d’hôtes ». Par un chemin étroit, j’arrive à la ferme d’un Corrézien bourru.

    Je ne sais ni son nom, ni celui du lieu où je me trouve, mais c’est là que je loge, pour quarante euros, avec une ouifi qui ne fonctionne qu’à l’extérieur et la certitude de n’être dérangé par personne pendant que je termine à l’ombre d’un grand chêne ma relecture du volume trois des Papiers Collés de Georges Perros.

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  • Je suis une nouvelle fois le seul hébergé à La Genetouse en cette nuit de vendredi à samedi. Au matin, après le petit-déjeuner sans surprise, ma voiture m’emmène jusqu’au hameau voisin nommé La Moratille. S’y tient le plus petit vide grenier que j’aie vu, sept ou huit exposant(e)s dans la cour des maisons. On y vend quelques livres, du tout-venant qui n’est pas pour moi.

    Je descends ensuite à Viam et, sur le conseil de la dame chez qui je dors, réserve une table à l’Auberge du Lac qui m’avait fait mauvaise impression l’autre jour (il paraît qu’on y mange très bien). Avant qu’il en soit l’heure, je reprends la voiture et par un chemin forestier à trous et bosses atteint le barrage de Monceaux-la-Virolle, sur la Vézère, qui donne naissance au lac de Viam, un ouvrage d’art que j’aimerais photographier mais ma carte mémoire est restée dans mon ordinateur. « Regarder, c’est se souvenir » est-il écrit à mon intention sur les panneaux de bord du lac, une citation de Richard Millet. Je franchis le barrage à pied puis reviens sur mes pas.

    Il y a affluence de voitures dans Viam, ce qui s’explique quand, peu avant midi, les cloches de l’église carillonnent en l’honneur d’un nouveau baptisé. Le temps étant incertain, je trouve table à l’intérieur de l’Auberge du Lac dans une salle sombre et sinistre. J’en suis le seul client jusqu’au bout du repas, lequel est très décevant : salade limousine, truite aux cèpes toute sèche essentiellement accompagnée de riz et de haricots, deux minuscules morceaux de fromage, deux petits moelleux secs à la myrtille, cela pour près de vingt euros, vin et apéritif en sus.

    Je file sans prendre de café et vais par des routes où je ne croise aucune voiture jusqu’à Rempnat. J’y découvre une Auberge du Sauvage avec de jolies tables en bois vieillottes sous les arbres où j’aurais mieux fait de déjeuner. A défaut, je commande un café qui malheureusement m’arrive tiède. A la table voisine, deux dames se récrient en voyant dans leur salade un tartare de bœuf. Elles sont végétariennes, un mot qu’elles prononcent en lettres capitales.

    -On va vous l’enlever, leur dit le serveur.

    Il est temps de descendre une dernière fois au Magasin Général de Tarnac. J’y commande mon habituel diabolo menthe quand j’y suis salué par Benjamin. Que des années après le premier passage, il me reconnaisse, m’étonne. Surpris, je le suis encore plus quand il me dit : « Vous habitez à Rouen et vous étiez avec une fille au camping ». « Quelle mémoire ! » lui dis-je. Je l’interroge sur le beau camion de la tournée dans les campagnes. Il l’a toujours, me répond-il.

    -A dans deux, trois ou quatre ans, lui dis-je deux heures plus tard, après lecture de Perros et avant de rentrer à Toy-Viam.

    *

    Qu’il ait fallu attendre le controversé Richard Millet, né à Viam, le vingt-neuf mars mil neuf cent cinquante-trois, pour écrire « Regarder, c’est se souvenir » me surprend un peu.

    *

    Ce samedi, j’ai aussi traversé La Merdoire, lieu-dit, près de Viam.

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  • Ce vendredi matin, je descends à Tarnac et prends la direction de Peyrelevade avec, sur le siège de la passagère absente, un itinéraire établi par l’hôtesse de la maison où je dors à Toy-Viam (cette nuit, j’étais le seul client, on n’a jamais vu ça pour un mois de juillet). Quand je passe devant le Magasin Général, un camion à grosses fleurs y stationne qui est peut-être celui des tournées d’épicerie dans les campagnes avoisinantes, celui vu par le passé avec celle qui m’accompagnait semblant avoir disparu. La route devient sinueuse et boisée. Je constate, autre disparition peu étonnante mais triste, que n’est plus là le café de mi-chemin entre Tarnac et Peyrelevade. Une vieille dame nous y avait accueilli un matin dans un bar qui ressemblait à une cuisine et avait accepté de nous faire à manger le lendemain midi, rouvrant spécialement pour nous un restaurant fermé. Nous avions eu l’impression de déjeuner chez une vieille tante, un menu à deux entrées puis du lapin à la moutarde, fromage, dessert, vin et café, à un petit prix.

    Un peu avant Peyrelevade, je tourne à gauche, suivant l’indication de l’itinéraire de balade, pour grimper jusqu’à un champ d’éoliennes immobiles d’où j’ai belle vue sur la région, puis redescends dans ce bourg à deux rues parallèles.

    J’y bois un café à la terrasse du bar tabac La Fontaine où se croisent les gens du cru qui se connaissent tous et s’appellent par leur prénom, puis je vais lire Perros assis sur un muret près de ladite fontaine. Le temps est à l’orage. A onze heures et demie, un unique coup de tonnerre fait office de coup de semonce. C’est néanmoins en terrasse que je déjeune au Tilaak, la patronne m’ayant indiqué que l’orage n’éclaterait pas avant une heure, d’un menu ouvrier à treize euros, assez moyen comme les précédents, avec une andouillette et un nougat glacé. Sitôt le café bu, les premières gouttes tombent.

    Je prends le risque de faire un autre bout de la balade aventureuse. Elle me mène au bord du lac de Chammet par un chemin plein d’ornières qui traverse un ancien centre de vacances Electricité de France abandonné au bout de trois ans d’usage et désormais en ruines. Je passe sur l’étroit barrage et poursuis sur une « piste carrossable » pendant un kilomètre et demi, priant pour ne pas tomber en rade dans un lieu aussi reculé, trouve le hameau de Servières, m’y perds, m’y retrouve grâce à une petite rousse en chorte. Pendant tout ce temps, les éclairs et le tonnerre n’ont cessé mais peu d’eau est tombée.

    Arrivé à Tarnac, je m’arrête au café du Magasin où les présent(e)s occupé(e)s à nettoyer après le repas communautaire chantent en chœur Les oiseaux de passage de Brassens et Richepin. Je bois un diabolo menthe en terrasse. La pluie frappe le plastique ondulé qui la recouvre cependant que gronde un lointain tonnerre. Cela n’empêche pas l’autochtone barbu présent chaque jour depuis moult années sur son siège attitré d’y dormir bruyamment, bel exemple de permanence dans un monde qui bouge si vite. Ayant lu ma dose de Perros (j’en suis au troisième volume), je paie l’euro vingt à la jeune épicière, le bar ayant été déserté. Elle me confirme la disparition de l’élégant camion que chargeait et conduisait autrefois Benjamin.

    *

    Vieux couple à La Fontaine :

    Elle : « Elle s’est fait opérer des doigts. On n’est même pas allé lui demander des nouvelles. »

    Lui : « Des nouvelles ? Qué nouvelles ? On ne demande pas de nouvelles pour ce genre d’opération. »

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  • Pour la première fois depuis mon départ, c’est un ciel bleu qui se montre par la fenêtre ce jeudi matin. Après le petit-déjeuner, je prends la route de Viam, village bordé d’un lac. J’y bois un café à l’Auberge du Lac, manquant de m’asseoir sur une chaise au pied cassé la veille mais non retirée de la terrasse. Ce détail et une impression générale négative me font renoncer à y retenir une table pour le déjeuner. Je vais voir le lac. Sa plage minimale est bordée d’un campigne populaire. Sur ces eaux, des canoés de centre de vacances circulent, cornaqués par un moniteur énervé : « Les filles, arrêtez de piailler, si vous êtes venues ici pour faire les connes, c’est pas la peine. ». Sur terre, un autre moniteur exige que des filles et des garçons de treize quatorze ans mettent un chapeau.

    Je poursuis jusqu’à Bugeat où c’est jour de marché, m’installe en terrasse avec vue sur icelui au Café de la Place, le seul du bourg, face à l’église à cloches apparentes et à l’Hôtel de Ville. Le diabolo menthe y est à deux euros dix, un prix exorbitant pour la région. Sur les tables, un flayeur appelle à une Journée du Terroir à Davignac, ce que commente l’un des assis voisins en ces termes : « Y en a partout maintenant des Journées du Terroir. Oh, pauvre ! » Celle-ci promet, entre autres, une lecture offerte aux enfants suivie d’un goûter, un spectacle de l’école de bourrée et une restauration à petit prix.

    Se restaurer, il est l’heure. Je m’installe en terrasse, bétonnée, survolé par des martinets survoltés, Chez l’Gaz, un restaurant dont le menu ouvrier est à quinze euros (salade d’avocat, steak saignant pommes en dés sans doute décongelées, fromages, crème brûlée tiède par endroits et froide ailleurs, un litre de vin rouge dont je bois peu, café, le pain arrivé tiède finira desséché). Ce n’est pas encore cette fois que j’aurai fait un bon repas.

    Par la route détournée, mais refaite à neuf, qui passe près du Goutailloux, je rejoins Tarnac et le café du Magasin Général. Sur le comptoir, La Montagne du jour a pour gros titre : « Un incendie paralyse le trafic des trains ». J’espère que tout le monde a un alibi. Je bois un diabolo menthe en terrasse, seul client, et lis Perros. Il fait lourd. La jeune fille chargée de l’épicerie se plaint d’avoir hier collé plus d’affiches sur la vitrine qu’elle n’a vu entrer d’acheteurs.

    *

    Lecture de circonstance en rentrant à Toy-Viam, le nouvel épisode du feuilleton de Laurent Borredon, journaliste au Monde, ayant débuté le dix juin et qui se poursuit chaque jour, intitulé :Tarnac, une instruction française (Voyage au cœur d’une enquête antiterroriste).

    *

    Si peu de monde sur les routes en Corrèze comme en Creuse, mais c’est déjà trop pour certains d’ici qui regrettent le passé : « C’était le bon temps, tu pouvais t’arrêter en ville et discuter de voiture à voiture. »

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  • La nuit est noire aux Quatre Saisons de Soubrebost, troublée uniquement en son début par le bruit terrifiant de deux avions chasseurs. Ce sont les petits oiseaux qui me réveillent. Au petit-déjeuner qui se prend autour d’une table circulaire à plateau rotatif (pas besoin de demander à autrui de passer la confiture), j’interroge l’hôte anglais sur l’origine des grilles Art Nouveau qui entourent son parc. Il me répond qu’un voisin lui a expliqué que l’ancien propriétaire les a fait venir de Paris mais que les piliers en granit ont été fabriqués ici. C’était après la Deuxième Guerre.

    Un parcours un peu erratique m’emmène à la Rigole du Diable puis au lac de la Vaud-Gelade. Il fait brumeux, pas de quoi envisager la balade à pied. Je poursuis, passe à Saint-Marc-à-Loubaud, Gentioux et arrive à Faux-la-Montagne où je déjeune au café restaurant La Feuillade pour treize euros (charcuterie, jambon braisé fondue creusoise, fromages, crème brûlée, quart de vin rouge, café). C’est le lieu de retrouvailles des ouvriers et des locaux, une salle de café aux sièges et tables disagne où l’on écoute Radio Nostalgie, une salle de restaurant à têtes de sanglier au mur et à mobilier banal. Le café de fin de repas se prend au comptoir. J’y ouvre La Montagne de ce mercredi et découvre une photo couleur de peintres en moules de ma connaissance, prises sur le fait à Royère-de-Vassivière lundi dernier pendant la fête belge. « Il ne manquait plus que le Manneken-Pis », titre l’article (ce qu’appréciera l’une des photographiées qui a horreur des hommes qui font pipi sans se cacher au bord des routes). La photo est ainsi légendée : « Grâce aux talents des peintres de Royère, le musée international de la moule peinte pourrait voir le jour ». L’humour creusois vaut l’humour belge.

    En sortant, je passe devant le salon de thé cyberespace Brin de Zinc où je fus avec celle qui travaille trop dur à Paris. Il n’est pas ouvert. Sur la porte figure une explication : « En raison de notre incompréhension des pratiques locales, nous avons décidé de mettre Brin de Zinc en sommeil ».

    Une pancarte indique Tarnac à neuf kilomètres. C’est par là que je vais, passant de Creuse en Corrèze. Je reconnais parfaitement les lieux, bien que l’église soit entièrement échafaudée et bâchée. Je me gare devant la Mairie, soucieux de trouver des renseignements sur les chambres d’hôtes mais elle est fermée. Sur la porte est affichée une lettre de Madame la Maire à Monsieur le Boulanger à qui elle reproche d’avoir transformé la boulangerie communale en chenil. J’avise une jeune fille habillée en noir à qui je demande si elle connaît une chambre d’hôtes dans les environs. « Je suis Américaine, me dit-elle, va au Magasin, il y a plein de monde là-bas, ils te diront ».

    Effectivement, il y a beaucoup de monde au Magasin Général, des jeunes gens de divers pays y mangent. Toutes les tables intérieures et extérieures sont occupées, certains déjeunent même assis par terre dehors. Je prends un café au comptoir puis trouve une chambre grâce à la documentation que m’a remise lundi l’Office de Tourisme de Royère. Elle est sise à La Genetouse, commune de Toy-Viam (à six kilomètres de Tarnac) et ne sera prête qu’à dix-sept heures, ce pourquoi je retourne au Magasin Général où je suis seul dans la salle pour écrire, embêté par les mouches, les humains étant partis « travailler sur le chantier ».

    *

    Trois ouvriers en discussion à La Feuillade, parlant d’un quatrième, licencié, mais qui a retrouvé un emploi :

    -Cantonnier à Saint-Pardoux, c’est pas une mauvaise place !

    *

    En garant ma voiture immatriculée dans le Soixante-Seize devant le Magasin Général, je permets à la Direction Générale du Renseignement Intérieur de mettre  ma fiche à jour.

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  • Mardi matin, au petit-déjeuner, l’hôtesse de Martinèche m’explique que l’appellation Plateau de Millevaches est relativement récente et qu’avant cela on parlait ici de Montagne Limousine, c’est d’ailleurs ce que l’on dit encore en occitan. C’est donc dans la Montagne Limousine que je choisis de rester en me déplaçant d’un saut de puce jusqu’au lieu-dit Chignat, toujours dans la commune de Soubrebost (sous les bois en occitan), où m’accueille en chambre d’hôtes, un couple d’Anglais (ayant pour autres clients des Hollandais, des Flamands et des Anglais) dans une belle bâtisse de pierres dont le parc est entouré de grilles de style Art Nouveau. Nous sommes aux Quatre Saisons. Ma chambre est L’Automne (ce qui est conforme à mon âge). Elle est élégamment minuscule avec un lit d’une personne et un prix en conséquence : vingt-cinq euros la nuit.

    J’y pose mes bagages et descends vers Bourganeuf, m’arrêtant en chemin pour aller pédestrement (comme on dit au service des filatures) visiter les gorges du Berger, dénomination présomptueuse pour le cours d’un sympathique ruisseau quelque peu encaissé.

    A Bourganeuf, je me gare sur la place centrale devant l’église et très vite je sens que ce n’est pas là que je déjeunerai. Ce bourg est rude, rugueux même, et invite à s’en éloigner, ce que je fais par la route de Royère-de-Vassivière que je remonte jusqu’au Compeix où je retiens une table dehors au café restaurant ouvert sept jours sur sept. Il est onze heures, j’ai le temps d’aller voir la cascade d’Augerolles par un chemin forestier pentu, elle aussi présomptueusement baptisée, et d’en remonter juste avant midi, épuisé, suant comme un baudet et affamé. Le grand air et la marche à pied, ça creuse (comme on dit dans le pays).

    Une table est mise à l’auberge. C’est la mienne. Je suis le seul client durant un quart d’heure mais ensuite cela arrive de tous côtés, familles du cru et ouvriers du coin. La plupart mangent à l’intérieur. Seuls me tiennent compagnie à l’extérieur un assureur et l’un de ses amis. Le menu est à treize euros cinquante tout compris : feuilletés de jambon champignons, crépinettes de dinde pommes sautées, fromages, glace en cornet, quart de vin rouge et café. Ce n’est pas de la grande cuisine mais qu’importe. Je mets un certain temps à en venir à bout car la patronne est seule au service et il lui faut courir partout à la fois. Je profite donc à loisir de la conversation de l’assureur et de son vis-à-vis qui font le tour des gens des environs :

    L’assureur à propos d’une de leurs connaissances :

    -Il l’a vendu son étang. Et même, on peut dire qu’il l’a bu.

    L’autre, à propos d’un qui arrive au restaurant :

    -Çui là, c’est celui qui s’occupe des clochers des églises, quand la minuterie est en panne. (« Sans blague ! », commente l’assureur)

    L’autre toujours, parlant du café restaurant L’Atelier à Royère-de-Vassivière où j’étais hier :

    -Tu te pointes à neuf heures et c’est pas ouvert. Je leur ai dit : vous êtes plusieurs, vous pouvez faire un roulement. Y z’en ont rien à foutre.

    L’après-midi, je le passe dans le parc de la maison d’hôtes de Chignat à lire Perros et à écrire ceci, cependant que dans le voisinage tournent les tondeuses à gazon et que le ciel se charge de nuages noirs. De temps en temps, des oies cacardent.

    *

    Constatation déprimée d’un assureur creusois déjeunant en terrasse au mois de juillet :

    -Dans nos petits pays, c’est l’hiver qui est long.

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  • Il pleut fort dans la nuit sur le toit de la maison d’hôtes de Martinèche, mais je dors suffisamment pour être de bon pied à huit heures au petit-déjeuner qui se prend dans la salle commune. Tandis que l’hôte en pyjama fabrique son fromage de chèvre, l’hôtesse me raconte la menace par l’Hadopi d’une amende de quatre cent cinquante euros pour un téléchargement illégal fait par un de leurs hébergés. Je la rassure sur mon compte puis prends la route qui mène à Royère-de-Vassivière où, par une coïncidence bienvenue, l’ami d’Orléans est en vacances avec sa famille et où, en ce jour de fête nationale belge, doit avoir lieu, au café restaurant L’Atelier, à partir de quinze heures, la Fête de la Belgique pour tous.

    Avant de toquer là où je suis attendu, je prends un café à L’Atelier en lisant un peu des Papiers collés de Perros. Au comptoir, bien qu’il ne soit que dix heures, c’est p’tit verre de blanc ou p’tit verre de rouge et pour conversation « Il a plu c’te nuit, ça fait ressortir les limaces ».

    Un peu plus tard, je suis dans l’imposante villa louée où je fais la connaissance des ami(e)s et de leurs filles avec qui l’ami, sa femme et ses filles partent en vacances. Cela fera du monde pour le déjeuner auquel je suis invité et qui aura lieu après que les courses seront faites.

    Je vais en attendant me balader par un chemin de grande randonnée jusqu’à un vaste étang au milieu duquel est construite une cahute en bois atteignable à la rame. Au retour, j’entre chez Proxi et en ressors avec une bouteille de vin d’Auvergne « Un brin d’amour » (ça ne fait pas de mal) puis retourne à L’Atelier. Le diabolo menthe y est à un euro cinquante (prix creusois). Je le bois en terrasse près de motards qui regrettent que le temps soit trop moyen pour envisager un pique-nique dans un endroit bucolique.

    C’est aussi pour cette raison qu’à la villa vers quatorze heures nous déjeunons à l’intérieur, autour d’une immense table et d’une nourriture aussi simple que bonne. L’ambiance est amicale et familiale, ce qui pour moi vaut tous les exotismes.

    *

    Pas plus que ça intéressé par la fête belge où il n’y a guère de monde (exposition de bandes dessinées, peinture sur moules), je décide de rentrer à Martinèche avant la soirée moules frites et film du pays.

    *

    La question du matin à Martinèche : « C’est à qui de traire la chèvre ? »

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  • C’est sous la pluie que je quitte Rouen à sept heures ce dimanche vingt juillet et j’y ai droit de plus en plus fort jusqu’à Nonancourt, puis le ciel se dégage mais pas la circulation automobile, le plus pénible étant la portion d’autoroute Orléans Vierzon emplie de caravanes. Dès que je la quitte pour aller vers Issoudun, plus personne sur la route droite en creux et bosses.

    Issoudun est plus grand que dans mon souvenir mais ses habitants se cachent. J’en trouve néanmoins deux pour m’aider à dénicher un restaurant ouvert le dimanche et arrive ainsi à La Locomotive face à la gare où je ne déjeune pas très bien d’un confit de canard ultra sec. Une vieille femme a invité sept membres de sa famille. Elle leur répète de choisir tout ce qu’ils veulent, ce qui les conduit à se restreindre. Je repars à treize heures, découvrant à la sortie de cette bourgade un étonnant château d’eau coloré. Je prends la direction de La Châtre et passe par des villages déserts dont l’un, Ambrault, accueillait hier soir en concert Elliot Murphy and The Normandy All Stars, puis par Nohant où je ne m’arrête pas, n’ayant pas d’affinité avec George, enfin c’est Guéret, lieu de mes premières vacances d’été, au campigne, j’avais vingt-deux ans, déjà seul.

    Le plein d’essence fait, je poursuis vers Bourganeuf et sitôt passé Pontarion trouve une chambre d’hôtes à trente et un euros petit-déjeuner inclus (prix pour un célibataire) au lieu-dit Martinèche, commune de Soubrebost, chez un couple de mon âge, peut-être croisé autrefois au Larzac, sur leurs voitures des autocollants contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

    Mes bagages déposés dans la belle mansarde avec vue sur les biquettes et la volaille, je m’enquiers auprès de mes hôtes d’un café ouvert le dimanche à Pontarion. Que nenni, mais je peux néanmoins y aller à pied par un joli chemin qui longe la rivière. Ce que je fais, côtoyant des veaux qui me regardent comme l’un des leurs.

    *

    A Martinèche, on peut (ce que je ne fais pas) visiter la maison natale de Martin Nadaud, ouvrier creusois devenu député, en exil sous Napoléon le Troisième.

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  • Le message, sur mon répondeur, jeudi soir, de la propriétaire de l’appartement d’à côté, victime d’un dégât des eaux, est le deuxième. A la suite du premier, envoyé dans l’après-midi, je suis allé voir ses locataires, mes voisins étudiants. La fuite d’origine inconnue en train de ruiner les cloisons sous leur escalier n’étant pas de mon côté mais de celui de l’appartement suivant, j’en étais reparti rassuré.

    Le second message m’explique que l’habitante de l’appartement suivant a coupé son compteur d’eau et que le bruit de la fuite ne cessant point, cela doit venir de chez moi. On me prie de couper à mon tour le compteur « en présence des locataires ». Ni lui ni elle ne sont là quand j’y sonne à vingt et une heures. Je dors mal et dès que j’entends bouger à côté au matin du vendredi je vois les voir.

    En présence du voisin locataire, je coupe mon compteur d’eau, ça continue à fuir chez lui. Je respire. L’autre voisine arrive et même une habitante de plus loin, qui n’a rien à voir avec l’affaire mais aime se mêler de tout. La fuite est avant les compteurs, telle est l’unanime conclusion. Les étudiants appellent le syndic. A midi, un plombier découpeur de cloison résout le problème.

    Je ne manquerai pas de couper l’eau en partant dimanche matin, coupant les ponts provisoirement avec la ville de Rouen, descendant vers le milieu de la France par Evreux Dreux Chartres Orléans, route des vacances, avec dans mes bagages, à relire, le Journal de Jules Renard (Bouquins/Laffont) et les volumes deux et trois des Papiers collés de Georges Perros (L’Imaginaire/Gallimard), le second ayant écrit la notice du premier dans le Dictionnaire des auteurs (Laffont/Bompiani).

    *

    Couper les ponts : « Se mettre dans l’impossibilité de revenir en arrière. ». La reconstruction de Mathilde montre qu’un pont coupé ne l’est pas forcément pour toujours.

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    Retombée de Balcon, la chanteuse dont je n’ai pas dit du bien trouve que j’écris « comme une merde ». En aurais-je dit que j’écrirais divinement.

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  • En ce jeudi de chaleur, vers treize heures, de la terrasse du Son du Cor où je bois un habituel café me parviennent les cris de la dispute d’un jeune couple dans l’immeuble voisin. Que ce soit elle qui crie le plus fort ne prouve pas qu’elle ait tort. Sur le terrain de boules une scène installée rappelle aux passant(e)s que c’est aujourd’hui jour de concert « festif, populaire et gratuit ».

    A dix-huit heures trente, je suis place de la Cathédrale pour ouïr et voir, devant la Brasserie Paul, Eskelina Svanstein, chanteuse suédoise s’exprimant en français et avec sa guitare. Cette cheftaine me rappelle le pire des années soixante-dix, pas étonnant qu’elle soit programmée devant le café le plus bourgeois de Rouen. Elle chante celui qui danse comme un dieu mais dort sur des cartons et le lit d’Emilie dans lequel, audace suprême, elle est entrée. Cette chanson hygiénique me fait vite fuir et comme il est trop tôt pour Yidaki Jug Band devant le Son du Cor, je passe par le Café Perdu devant lequel s’exprime Nono Futur, une contre programmation baptisée le Balcon du Jeudi. Il en est aux balances, pour lesquelles je reste, puis vais voir ce Yidaki Jug Band, un garçon d’Evreux qui fait band à lui tout seul. Chanteur et joueur de lapsteel, guitare et didjeridoo, il ne me retient pas davantage qu’un morceau.

    Je retourne au Balcon et, en attendant que Nono ait fini sa bière, entends discuter son public de rockeurs. Il est question des études des enfants, qui sont ce qu’il y a de plus important, heureusement les leurs ont les félicitations tous les trimestres. Un cloune triste porteur du ticheurte des Dogs revient du bar avec deux bocks. Le répertoire de Nono Futur est toujours le même, bien que ce soir il se soit rebaptisé Nouméa von 88, une fine allusion à Tahiti 80 qui joue aux Terrasses place Saint-Marc à vingt et une heures dix. Il attaque toujours Sarkozy mais n’envoie plus personne se faire enculer. Il serait temps qu’il écrive une chanson bien méchante sur Hollande. Son surmoi doit l’en empêcher.

    Après Nono, au Balcon, c’est La Chute, duo à maigre chanteuse. Je laisse tomber avant la fin de la première chanson et rejoins la place Saint-Marc où il y a foule. Le groupe sur scène, où les lumières sont à fond bien qu’il fasse jour, doit être le parisien We Are Match, « electro-pop tricolore ». Ça ne m’intéresse pas. J’observe la foule en vêtements d’été. Il me semble que jamais filles et garçons (surtout eux) n’ont été plus mal habillés. Beaucoup de ces garçons sont des néo barbus. Nos seulement ils s’embrassent les uns les autres mais maintenant, en plus, ils se congratulent chaudement les yeux dans les yeux. Où ont-ils attrapé ça ? En regardant des séries ? Je cherche la caméra du film dans lequel ils jouent en permanence.

    Bientôt, en ayant marre, je rentre. Un message m’attend sur mon répondeur. C’est la propriétaire de l’appartement d’à côté, victime d’un dégât des eaux. Il se pourrait que ça vienne de chez moi.

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