• Le Rêve américain, exposition Duane Hanson à La Villette

    Grève prévue pour ce jeudi, à la gare de Rouen mercredi matin des gilets rouges (comme on les appelle dans le milieu) distribuent les horaires des trains qui circuleront quand même cependant que quatre membres de la Sécurité Ferroviaire, tonfa, revolver, discutent entre eux. On les croirait choisis par castigne, un la peau noire, un l’air vaguement arabe, un l’air gaulois au crâne rasé, un l’air gaulois à cheveux longs et barbe, tous costauds. J’attends, bien renseigné et bien protégé, le train de huit heures neuf pour Paris.

    En chemin pour la capitale, je lis Une malle pleine de gens, le recueil des textes qu’Antonio Tabucchi a consacré à Fernando Pessoa et à ses hétéronymes, paru chez Dix/Dix-Huit. Juste avant l’arrivée, une escouade de contrôleurs envahit la voiture. Contrôler après Mantes-la-Jolie nécessite un certain courage et implique l’émission d’un nombre conséquent d’amendes. L’un des hommes à casquette exige les papiers d’identité d’une famille espagnole n’ayant point composté. Je lui demande pourquoi. Il me répond qu’il s’agit de s’assurer que ces gens résident bien à l’étranger, certains faisant semblant pour échapper à l’amende.

    Au Quartier Latin, sous un soleil revenu, je fais l’habituelle tournée des librairies puis mange un habituel kebab. Peu de monde dans les rues, à croire que les Parisien(ne)s sont déjà parti(e)s en vacances et que les touristes boudent.

    En métro, je rejoins La Villette où j’attends quatorze heures à l’ombre près de la Grande Halle. C’est la première fois que je vois cette magnifique architecture métallique dans laquelle danse en ce moment Sidi Larbi Cherkaoui. Pas loin la Cité de la Musique, entre les deux la fontaine qui servait autrefois d’abreuvoir aux animaux. Une voiture blanche marquée Prévention et Sécurité patrouille avec deux hommes en orange dedans. D’autres hommes orange surveillent à pied. Des jeunes gens sont assemblés un drapeau algérien sur le dos et répètent sans cesse « On va gagner Inch’Allah ». Il y a des pays comme ça où c’est Dieu qui joue au foute.

    Je ne suis là ni pour la danse ni pour la musique, encore moins pour le foute, mais pour Duane Hanson dont les sculptures hyperréalistes sont exposées gratuitement dans le pavillon Paul Delouvrier. A l’heure prévue, les portes du Rêve américain s’ouvrent. Pas le droit de toucher, pas de le droit de faire des photos et une médiatrice à disposition (c’est la nouvelle manie), nous disent les hôtesses en vert protégées par des vigiles en blanc.

    Ce sont quinze œuvres des dernières années qui sont montrées dans ce grand pavillon, témoignant de l’utopie manquée, parmi lesquelles Queenie, la femme de ménage noire (qu’aimait particulièrement Hanson), Vieux couple sur un banc, Bébé dans une poussette ou encore Homme sur une tondeuse. Certaines sont en bronze, d’autres en résine synthétique, toutes peintes et accessoirisées jusqu’à les croire vivantes, ce que ne manquent pas de faire certain(e)s des moutard(e)s présent(e)s. D’autres tentent de se transformer en statue hansonienne. Pour ma part, je n’ose malgré mon mal de pied m’asseoir sur le banc face au Vieux couple. Personne ne l’ose d’ailleurs, ni rester immobile trop longtemps. C’est que, comme l’écrit Bruce Bégout dans le catalogue de l’exposition, « Tout le monde, à un moment ou à un autre de son existence, a été ou sera une figure de Hanson. »

    Lequel déclarait en mil neuf cent soixante-dix-sept : « Le sujet que je préfère, ce sont les personnes ordinaires des classes populaire et moyenne de l’Amérique aujourd’hui. Pour moi, la résignation, le vide et la solitude de leur existence captent la véritable réalité de la vie de ces gens… ».

    Ce que Bruce Bégout exprime en ces termes : « Hanson ne proteste pas tant contre cette culture de masse et ses mécanismes standardisés que contre ce qu’elle provoque incidemment chez tous les individus, ennui, désillusion, abattement, solitude. »

    Je feuillette un livre en anglais à lui consacré où l’on peut voir ses sculptures des années soixante, violemment contestataires : cadavre vietnamien dans la rue ou scène de lynchage d’un homme à la peau noire par un policier blanc.

    Duane Hanson est mort d’un cancer en mil neuf cent quatre-vingt-seize « suite » comme le dit en une jolie formule le dépliant offert à l’entrée de l’exposition « à son contact peu précautionneux avec ses matériaux de prédilection, la résine et la fibre de verre ».

    Dans le métro qui m’emmène vers le Book-Off de l’Opéra je découvre deux statues posthumes de l’hyperréaliste artiste : Vieil homme épuisé et Lectrice de roman d’amour.

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    De cette escapade parisienne, quelques livres dans ma besace : Le Lecteur somnambule, recueil de comptes-rendus de lecture d’Henri Lewi (Editions du Rocher), Le Livre d’un homme seul, roman de Gao Xingjian (Editions de l’Aube) et La cinquième saison du monde de Tristan Ranx (Editions Max Milo) qui narre sous forme romancé l’histoire de la cité de Fiume de septembre mil neuf cent dix-neuf à décembre mil neuf cent vingt quand transformée en zone autonome « elle fut le havre des futuristes, des anarchistes, des révolutionnaires, des dadaïstes, des bolcheviks, des aventuriers, des fêtards, des femmes fatales et des âmes perdues », comme le dit la quatrième de couverture, livre qui a reçu le prix Technikart.

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    Le cadavre du pigeon qui traînait dans ma ruelle n’y est plus. Une vieille à chariot, tout droit sortie de chez Duane Hanson, l’a emporté dans un sac en plastique translucide, peut-être pour lui donner une sépulture.

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