• Lisant de Linda Lê un bon livre avec un mauvais titre

    « Linda Lê reste un auteur peu connu du grand public malgré son succès critique », c’est Ouiquipédia qui le dit et il est bien dommage que ce soit vrai. Je l’aime bien pour ma part, ayant lu quelques-uns de ses ouvrages publiés chez Christian Bourgois, dont Lettre morte où elle évoque son père. J’aime bien aussi ce qu’elle est, son mal de vivre. Arrivée au Havre en mil neuf cent soixante-dix-sept, fuyant le Viêt-Nam avec les femmes de sa famille, elle vit à Paris depuis mil neuf cent quatre-vingt-un.

    Je termine d’elle la lecture d’Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau, ouvrage publié chez Christian Bourgois en deux mille neuf, au mauvais titre. C’est le dernier vers du long poème de Charles Baudelaire intitulé Le Voyage mais qui le sait (je ne l’ai appris qu’en cherchant sur Internet). Cela sonne comme un titre d’une collection « développement personnel et bien-être », dommage.

    Le contenu en est pourtant fort intéressant. Linda Lê y évoque finement des écrivain(e)s qui comptent pour elle, la plupart que je connais bien pour les avoir lus et pour qui j’ai une grande dilection : Robert Walser, Louis-René des Forêts, Georges Perros, Tommasso Landolfi, Osamu Dazai, Stanislas Rodanski, Sándor Márai, Bohumil Hrabal, Louis Calaferte, Karel Capek, Stig Dagerman et Ghérasim Luca, l’une qui m’intéresse peu : Simone Weil, et trois tout à fait inconnus de moi : Juan Rodolfo Wilcock, Felisberto Hernandez et Hanokh Levin. Son livre s’achève par un hommage à Christian Bourgois à qui elle doit beaucoup.

    Au fil des pages, on croise d’autres écrivains ou penseurs. Ainsi, en ouverture du chapitre consacré à Stig Dagerman, Max Stirner : Adolescente, j’avais, sur les instances d’un aîné en délicatesse avec tous les représentants de l’ordre par lui baptisés chiens de paille, fait mes premières incursions dans les brûlots des libertaires. L’Unique et sa propriété de Max Stirner devint mon évangile, j’adoptai sa maxime : « Je mets ma cause en moi-même, moi qui aussi bien que Dieu suis le néant de tout autre, moi qui suis mon tout, moi qui suis l’Unique. »

    Cela me ramène à ma propre jeunesse où je ne jurais que par Stirner et son anarchisme individualiste. J’ai toujours, en bonne place, dans ma bibliothèque ses Œuvres complètes (L’Unique et sa propriété et autres écrits) parues en mil neuf cent soixante-douze aux Editions l’Age d’Homme. Ne sais ce que j’en penserais si je les relisais, je préfère m’en abstenir.

    *

    Mon état d’esprit, mon mode de vie, mes dispositions morales font de moi un bourgeois, mais je ne me sens pas à l’aise au milieu de mes pairs. Je vis dans l’anarchie. (Sándor Márai, cité par Linda Lê)

    *

    Mardi après-midi, un groupuscule occupe le trottoir en bas de la rue de la Jeanne vantant les idées du politicien Cheminade. A celle qui se précipite vers moi un tract à la main j’oppose un refus, ajoutant que Cheminade est louche.

    -Comment ça, louche ?

    -Allez lire sa page Ouiquipédia, lui dis-je.

    -Ah bon, parce que vous croyez ce qui est écrit sur Ouiquipédia, vous ? Vous êtes un croyant ?

    Se faire traiter de croyant par une disciple de Cheminade est un plaisir que je savoure jusqu’à l’Opéra où je retire une mauvaise place pour les deux spectacles de la semaine.

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