• Noël, c'est quand on veut

                -Il est encore parti en voyage, l’autre enfoiré. Oui, il est au Brésil en train de se faire bronzer et pendant ce temps-là, nous, on mange des nouilles. J’en ai vu des présidents, j’en ai jamais vu un qui voyage tout le temps comme lui. Et les autres au Parti Socialiste qui passent leur temps à s’engueuler. Moi, je vais renvoyer ma carte d’électeur à la Mairie. Oui, je vais le faire. A soixante-quatorze ans, j’attends plus rien. J’ai plus que la mort à attendre.

                Ainsi s’exprime la vieille femme qui est derrière moi dans la file d’attente à la caisse d’Intermarché, place Saint-Marc. Je fais mes dernières courses de Noël. Le réveillon pour elle et moi c’est ce soir vingt-deux décembre (le vingt-quatre, elle est requise par sa famille).

                Quand elle arrive, nous faisons le tour de la ville à pied, en évitant les artères les plus commerçantes, pour découvrir l’ensemble des illuminations municipales. Fourneyron (Valérie) a retrouvé les grosses boules d’Albert (tiny), ancien maire, et aussi ses petites lumières clignotantes. C’est assez sobre et agréable à voir. La laideur vient des ajouts des commerçant(e)s, tous ces sapins ridicules sur la voie publique (la palme revenant à ceux en contreplaqué rouge de la rue Saint-Romain) et aussi des lieux pitoyables où se déroulent les occupations sportives de « Rouen givrée » (pas moyen d’oublier que la maire est médecin du sport).

                Une autre horreur qui n’a rien à voir avec Noël et sera donc permanente, ce sont, rue du Général-Leclerc, les deux nouveaux abribus de la ligne Teor, architecture datée, couleurs verte et bleue juxtaposées. L’un d’eux, sis devant le bel immeuble des Nouvelles Galeries, ruine l’image que l’on peut en avoir. Laurent le Fabuleux a encore frappé.

                Il est temps d’aller prendre un alcool fort et c’est du côté du monde d’hier (dans un lieu empli de hors-la-loi où on écoute de la bonne musique) que la fête commence, vodka pomme pour elle, vodka fraise pour moi.

                Le lendemain matin, après la fête, nous partons pour une nouvelle balade à pied qui nous mène rive gauche dans le brouillard. Le sommet de la tour des Archives est invisible et l’on devine à peine l’esthétique chapiteau du cirque Medrano posé sur le quai.

                Nous allons vers la gauche jusqu’au chantier de ce qui est encore abusivement présenté comme une Médiathèque. Je lui fais découvrir le bâtiment en construction et, à côté, le parc Grammont, quasi désert. Un grand-père promène ses deux petits-enfants. Deux ouvriers à gilet jaune balaient mollement les feuilles.

                Nous nous dirigeons ensuite vers Saint-Sever et nous attardons devant la vitrine de l’agence immobilière Guy Hanot. Elle ressemble à celle d’un antiquaire avec sa collection de pots à tabac.

                -Tu as vu, me dit-elle, il y a aussi des photos à l’intérieur.

                Ce sont celles d’acteurs et d’actrices, de chanteurs et de chanteuses, de sportifs et de sportives, des années cinquante et soixante. Le maître des lieux nous aperçoit et nous ouvre la porte.

                -Ce sont deux visiteurs pour le musée, annonce-t-il à ses employées.

                Je donne à celle qui m’accompagne le nom de celles et ceux que je reconnais sur ces images qui datent de mon enfance, quand les Noëls étaient si tristes.

    Partager via Gmail Yahoo!