• Noël, en lisant les Lettres choisies (1940-1956) de Jack Kerouac

    Je termine, en cette nuit de Noël, la lecture de l’épais premier volume publié chez Gallimard des Lettres choisies de Jack Kerouac, regroupant des missives envoyées et quelques reçues entre mil neuf cent quarante et cinquante-six, une correspondance foisonnante et foutraque, parfois rédigée dans un état second dû à la drogue ou à l’alcool. J’en saute de nombreuses pages et en sauve deux extraits relatifs à Sur la route qu’il aura beaucoup de mal à faire éditer :

    A Alan Harrington, le 23 avril 1949, Ozone Park, N.Y. : Je commence donc à travailler sérieusement sur mon 2e roman cette semaine. Sur la route. Je crois. Tous mes génies sont en prison, Alan – Burroughs, Huncke, Allen (innocent Ginsberg), la grande rousse Vicki, peut-être Neal & LuAnne, pour ce que j’en sais. Je ne suis plus « beat » désormais, j’ai de l’argent, une carrière. Je suis plus seul que lorsque je « traînais » à Times Square à 4 heures du matin ou faisais du stop sans un sou sur les grandes routes de la nuit. C’est étrange. Et pourtant je n’ai jamais été un « rebelle », seulement un imbécile heureux et piteux, au grand cœur rempli de joies stupides.

    A Allen Ginsberg, le 8 octobre 1952 : Ceci est destiné à faire connaître à toi et à tout le reste de la bande ce que je pense de vous. Peux-tu même me dire par exemple… pourquoi, après toutes ces discussions sur le style des livres de poche et la nouvelle mode consistant à écrire sur la drogue et le sexe, mon Sur la route, écrit en 1951, n’a jamais été publié ? –pourquoi  ils ont publié le livre de Holmes qui est une merde et ne publient pas le mien sous le prétexte qu’il n’est pas aussi bon que certaines autres choses que j’ai écrites ? Est-ce le destin d’un idiot incapable de mener à bien ses affaires ou bien est-ce l’odeur de pet généralisée de New York en général… Et toi que je croyais être mon ami –tu es assis là et tu me regardes droit dans les yeux pour me dire que le Sur la route que j’ai écrit chez Neal est « imparfait », comme si quoi que ce soit que toi ou un autre ait fait était parfait ?... et tu ne lèves même pas le petit doigt ou dis un truc en ma faveur…

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    Survivre à Noël n’est finalement pas plus difficile que de survivre à la fin du monde, bien que la commémoration de la Nativité fasse plus de bruit que l’Apocalypse quand on habite près de la Cathédrale de Rouen, d’où la difficulté de se rendormir après le carillonnage de fin de messe de minuit un peu avant une heure du matin, l’Archevêque, Monseigneur Descubes, ayant mis la gomme, d’autant qu’il se met à pleuvoir ensuite, d’où tambourinage sur le toit.

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                En province, la pluie devient une distraction écrivaient Edmond et Jules de Goncourt. C’est vrai, mais avec vingt-trois jours de pluie sur vingt-cinq en décembre, la distraction perd de son charme.

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