• Pierre Molinier (un): une biographie d'enfer signée Pierre Petit

                Mardi matin, je referme la biographie de Pierre Molinier écrite par Pierre Petit et publiée chez Ramsay/Jean-Jacques Pauvert, trouvée il y a peu, soldée chez Mona Lisait : Molinier, une vie d’enfer.

                Un bon titre, polysémique à souhait, pour une biographie qui s’appuie un peu trop, je trouve, sur les entrevues dudit Molinier avec l’auteur ou d’autres et qui pêche aussi parfois par des commentaires moralisateurs, qualifiant par exemple, dans telle circonstance, le comportement de l’artiste d’ « insane ».

                Oui une sacrée vie, Pierre Molinier, et je me souviens des premiers mots de Françoise Molinier, sa fille, dans l’émission Une vie, une œuvre de France Culture consacrée à son père : « Ce n’est pas facile d’être la fille de Pierre Molinier ».

                Il naît en mil neuf cent, le Vendredi Saint, et est déjà sous les jupes des employées de sa mère à trois ans, adore se vêtir des bas de sa sœur cadette Julienne et des souliers de sa mère. Vers sept ou huit ans, il se fait tarter par son père pour avoir embrassé les jambes de Julienne. Un petit tour chez les Frères des Ecoles Chrétiennes et à douze ans, il perd son pucelage avec Gracieuse, pute d’Agen. Avec ses amis, il parcourt les bals de la région habillé en femme. Julienne meurt en mil neuf cent dix-huit de la grippe espagnole. Il s’enferme avec elle, la photographie, s’allonge sur elle et jouit sur son ventre. « Le meilleur de moi-même est parti avec elle » déclarera-t-il plus tard.

                Il part vivre à Bordeaux où il devient patron d’une entreprise de peinture en bâtiment. Ses premières toiles exposées dans cette ville font scandale en raison de leur côté sexuel.

                Il se marie en mil neuf cent trente et un, a une fille Françoise en trente-deux et un fils Jacques en trente-huit, amène ses maîtresses à la maison.

                Pendant le deuxième guerre mondiale, devient un peu truand : « Trois passions, la peinture, les filles et le pistolet. » déclare-t-il.

                Dans les années cinquante, Molinier découvre sur le trottoir une certaine Monique en qui il reconnaît sa fille naturelle. Il couche avec elle et lui achète un bar montant « Chez Monique au Texas-Bar ».

                Sa femme le quitte, part avec leur fils. Il reste seul avec Françoise. En mil neuf cent soixante, une dispute qui tourne mal avec son ex-femme l’expédie quelque temps en prison.

                A ensuite diverses amantes, dont le Petit Vampire. Il envoie ses toiles à André Breton qui, enthousiaste, se démène pour le faire connaître à Paris.

                Rencontre Emmanuelle Arsan (l’auteur d’Emmanuelle) et Hanel Koeck avec qui il a des relations approuvées par le mari de la première et l’amant de la seconde.

                En mil neuf cent soixante-cinq, il peint la fameuse toile (représentant une femme crucifiée) Oh !... Marie, mère de Dieu, qu’il veut vendre au pape : « Si on me crucifiait, je voudrais qu’on me fasse ce que l’on fait à mon Christ. Et je voudrais bien avoir un godemiché dans le trou de balle, par exemple. Et puis, être sucé. Alors la souffrance se transformera en volupté ; ». écrit-il à Hanel Koeck en mil neuf cent soixante-dix.

                Il se lance dans le photomontage, notamment avec ses autoportraits en femme, sans doute la partie la plus intéressante de son œuvre (c’est ce que je pense, du moins), il veut « rejoindre l’androgyne initial ».

                Grâce à un joug de sa fabrication, il s’adonne à l’autofellation (« Ça a été long, j’ai mis deux ans pour y arriver. »). Se photographie ainsi et distribue cette photo en guise de carte de visite.

                Il se fabrique une croix pour sa « tombe prématurée : « Ci-gît Pierre Molinier/ Ce fut un homme sans moralité/ Il s’en fit gloire et honneur/ Inutile de prier pour lui. »

                De plus en plus hanté par l’idée de la mort, il écrit à Emmanuelle Arsan, le premier août mil neuf cent soixante-quatorze : « Je suis furieux d’être un vieillard. Je suis terriblement fatigué, et depuis le début de l’année, sexuellement j’ai éprouvé des défaillances. Il me tarde que le voyage soit terminé. »

                Cette année-là, il a la douleur de perdre son fils Jacques, mort en fabriquant un engin explosif destiné à aplanir une butte de terre.

                Le trois mars mil neuf cent soixante-seize, dans son atelier de la rue des Faussets à Bordeaux, Pierre Molinier trouve enfin un usage pour son pistolet, il se tire une balle dans la tête.

                Je retrouve, dans Molinier, livre publié à Genève en mil neuf cent soixante-dix neuf aux Editions Bernard Lethu, sans nom d’auteur et reproduisant peintures et dessins de l’artiste, le poème que lui a consacré Joyce Mansour. Intitulé Sens interdits, il commence ainsi :

                Il n’est pas de bonheur plus voluptueux

                Qu’en cette pénétration de soi

                Par tous les orifices de l’imaginaire

                De l’anus grignotant

                A la petite bouche de cire

                L’homme qui s’est fait femme dans le charnier de son œuvre

                Celui qui traqua son phallus dans les ruelles

                Bordées d’ombre

                S’est tu s’est tué une fois sa forge

                Eteinte

    Partager via Gmail Yahoo!