• Quatorze et treize juillet, aux bals rouennais

    De retour à Rouen, j’appelle mon médecin traitant agréé par la Sécurité Sociale qui me reçoit et se contente de refaire l’ordonnance déjà faite par la Polyclinique de Saint-Jean-de-Luz pour un orthopédiste à consulter dans dix jours. J’apprends à cette occasion que ledit est un chirurgien capable d’opérer si ça ne se passe pas bien. Ce généraliste me demande où j’en suis de ma vaccination contre le tétanos. Il ne m’explique rien sur ce que j’ai, rien sur ce qui m’attend, c’est vingt-deux euros.

    Heureusement, elle est là. Pour que la vie continue à ressembler à des vacances, nous découvrons quelques restaurants et bistrots de Rouen et le quatorze juillet nous sommes en haut du quai à regarder les quelques vieux qui dansent au son de l’orchestre de Sevy Golden. Yves Goupil, je l’ai connu à Louviers dans les années soixante. Il était étoile dorée locale, reprenant les succès yéyé et objet de risée. Je le retrouve, bien des années plus tard, assis derrière un clavier, dégarni et bedonnant, reprenant les succès de la musique latino avec l’aide d’une chanteuse approximative. Le temps est sévère pour tout le monde, comme dit la cousine de madame Michu.

    Ce bal est une coproduction de la Mairie de Rouen et des Docks Soixante-Seize, politique et commerce se marient fort bien chez Valérie Fourneyron. Tiens, la voici madame la deputée-maire, qui grimpe sur la scène aux couleurs du centre commercial. Avec des mots empruntés à Marie-Ségolène et une gestuelle empruntée à Chirac, elle en appelle à l’unité nationale (beurk beurk beurk) et annonce le deuxième invité de la soirée : André Verchuren. Celui-ci se tient à côté d’elle, cheveux teints et quatre-vingt-huit ans. Je me souviens comme il m’a pourri la vie, enfant, lorsque ma mère l’écoutait chaque dimanche sur Radio Luxembourg. Là, il me plaît presque de l’entendre et celle qui me tient la main le trouve admirable pour ce qu’il fait à son âge. Suite à une avécé (comme disent les médecins), il chante comme il peut, mais ses doigts courent encore avec agilité sur l’accordéon.

    Impoliment, les organisateurs l’obligent à s’arrêter. C’est l’heure du feu d’artifice. André chante un bout de Marseillaise et évoque son voyage en train vers Dachau. Le directeur des Docks Soixante-Seize enchaîne en faisant de la publicité pour son petit commerce.

    Nous nous dirigeons vers le pont et c’est encore Fourneyron (Valérie) qui nous parle dans les enceintes acoustiques. Après le succès de Rouen-sur-Mer, après le succès d’André Verchuren, elle nous annonce le succès du feu d’artifice, pour la première fois sonorisé, et compte jusqu’à cinq.

    Dans un bel ensemble, les enfants sont hissés sur les épaules de leurs pères, à croire que toutes les femmes viennent d’accoucher sur le pont. Une voix s’élève, celle de Grand Corps Malade, le poète qui fait rimer compartiment avec comportement. Il parle niaisement de lumière dans le ciel et justement il y en a de toutes les couleurs. Des musiques néfastes s’enchaînent sans la moindre nécessité, heureusement couvertes par le bruit des explosions. Un spectateur inspiré crie qu’il aurait fallu faire un hommage à Michael. Le feu lui-même est banal et le public conforme. C’est normal, me dit celle qui me protége des mouvements de foule, le quatorze juillet, c’est une fête de beaufs.

    On retourne sur le quai voir de plus près Sevy Golden, lequel annonce, navré, à son public que le bal ne reprend que pour une demi-heure. C’est la maire qui veut ça. A minuit, à Rouen, tout le monde doit rentrer à la maison.

    Le vrai bal et la vraie fête, c’est la veille, le treize, que cela se passe, sur la place devant le Café de l’Epoque. Les festivités sont organisées par le limonadier, qui s’occupe de tout, buvette, service d’ordre et discours auto satisfait. La population du quartier est là, jusqu’au dernier des zonards avachi sur le trottoir avec femme et enfants en bas âge. Au son de l’accordéon du groupe Atillo, nous dansons tous les deux, moi assez immobile pour raison de clavicule amoindrie, puis nous trouvons une table pour un verre d’Edelzwicker à l’entracte.

    La seconde partie de soirée est encore plus jouissive, pendant laquelle les mêmes musiciens entourent Fata, le chanteur de l’Orchestre National de Barbès, au physique passe-partout, aux vêtements quelconques et à la voix remarquable.

    C’est à presque deux heures du matin que nous rentrons bien contents ce soir-là.

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