• Dans la gare de Rouen ce mercredi un peu avant huit heures passe et repasse Alain Rault aka le Playboy Communiste dont les calligraphies murales sont parfois dérobées par des spéculateurs collectionneurs d’art. Hirsute, caché dans sa couverture, il effraie les deux jeunes Japonaises à qui il demande un euro. Une femme d’origine africaine (comme on dit) se déplace pour venir lui donner une pièce. Perdu dans son monde intérieur, il n’en est pas moins capable de se débrouiller du monde moderne comme le montre sa maîtrise du distributeur automatique où il prend un café.

    Je descends voie Trois et grimpe dans le train de huit heures sept pour Paris. Près de moi voyagent une femme, son fils homo et le copain de celui-ci. Ils partent à New York et étudient fébrilement le plan du métro. Up, c’est pour monter. Down, c’est pour descendre.

    Un peu après dix heures, je sors de terre à la station Ledru-Rollin et aperçoit de l’autre côté de la rue celle avec qui j’ai rendez-vous, grâce à qui je suis allé à New York il y a bientôt deux ans. Elle me fait signe de la main mais avant que j’aie eu le temps de lui répondre le garçon à ma gauche l’a déjà fait.

    C’est un ancien de l’Ecole Boulle qu’elle n’avait pas revu depuis la fin de leurs études communes. Elle échange quelques mots avec lui puis nous prenons une boisson chaude au Café du Faubourg. Ce tête-à-tête m’est bénéfique.

    Après un passage chez Book-Off où nous amuse le livre à un euro que personne ne voudra acheter : Changer de destin par François Hollande, mais où je trouve en revanche quelques livre du même prix à mon goût, nous allons déjeuner place d’Aligre en terrasse de La Grille, un restaurant où le menu du jour semble ne jamais changer mais est bien bon et dont le patron est fier des drapeaux qu’il a cousus sur la façade en prévision de la coupe du monde de foute. La fin du marché s’offre en spectacle et l’auvent nous protège de la pluie qui s’intensifie. Salade d’avocat et de saumon fumé, tagine de poulet, le problème vient du dessert unique, le fondant au chocolat que lui interdit l’allergie, pas moyen de le remplacer par autre chose qu’un thé à la menthe.

    Il nous faut nous quitter à la fin du repas. Le travail l’appelle du côté de la Bastille. Depuis le bus Quatre-Vingt-Six, j’ai une dernière image d’elle qui me fait un signe de la main. Elle a fière allure sous son parapluie.

    Je descends à Cluny. La pluie ne cessant, je vais de Gibert en Boulinier puis reprends le bus Vingt-Sept qui me dépose pas loin du Book-Off de l’Opéra où je furète longtemps avant de terminer la journée comme souvent Chez Léon.

    Sur la table près de mon café verre d’eau sont empilés mes livres à un euro du jour parmi lesquels deux sont consacrés à des artistes marginaux cousins du Playboy Communiste : Le Prince de Palagonia de Giovanni Macchia (Quai Voltaire) qui évoque le constructeur de la villa baroque sise à Bagheria « muré dans son rêve de pierres » et Storr (Architecte de l’ailleurs) de Françoise Cloarec (Phébus) consacré au cantonnier de la ville de Paris créateur de soixante-douze dessins « représentant cathédrales lumineuses, bâtiments exotiques et cités utopiques ». Ce dernier ouvrage fut dédicacé à Daniel Greiner le treize novembre deux mille dix à Trouville par l’auteure (entre les pages : une petite carte avec l’adresse, le numéro de téléphone et l’adresse mail de cette dernière).

    *

    Autres livres rapportés de Paris : Le sec et l’humide de Jonathan Littell (L’Arbalète/Gallimard) sur le nazi belge Léon Degrelle, Marie de Régnier de Robert Fleury (Plon), Petits Contes licencieux des Bretons (Terre de Brume Editions), Saul Steinberg (Delpire).

    *

    La dame triste chez Book-Off qui demande un livre sur la dépression au travail.

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  • Ce qui m’a particulièrement réjoui dans le volume deux d’Après l’Histoire de Philippe Muray, est ce qu’il écrit sur les touristes version troupeaux, comme il en passe sans cesse dans la venelle où j’habite, déversé(e)s par bateaux et autocars entiers, cornaqué(e)s par les raconteuses et raconteurs de faux Moyen Age de l’Office de Tourisme de Rouen (l’autre semaine encore, je m’en prenais à l’une qui hurlait sous mes fenêtres).

    Florilège :

    Personne n’est jamais davantage anti-touriste qu’un touriste. Il ne veut voir les choses que comme elles sont quand il n’est pas là. Il ne souhaite jamais photographier ou camescoper un monument que dégagé de sa lèpre déambulante, photographiante et camescopante, donc libéré de lui-même. L’idéal qu’il nourrit est fondé sur une perpétuelle dénégation de sa propre présence, qu’il est le mieux placé pour savoir désolante.

    Les touristes composent l’armée de métier chargée de faire régner par tous les moyens la nouvelle morale festiviste et transfrontalière d’une post-humanité qui a chassé toute violence d’elle-même, au profit de la violence sans fin de sa propre vision du monde, et qui n’a d’autre but que d’aller admirer, à travers la terre entière, des monuments, des reliques ou des choses qui n’auraient jamais existé sans l’ancienne violence, c’est-à-dire sans l’Histoire (…)

    Le touriste, ou voyageocrate, est fondamentalement risquophobe, et ce n’est pas pour rien qu’il a toujours cet air vague, ce regard terreux et cette démarche titubante que l’on voit à tant de petits enfants.

    A l’inverse du pèlerin de La Mecque ou de celui de Lourdes, le touriste est un être infiniment malheureux qui ne rencontre jamais nulle part ce qu’il n’était même pas venu chercher.

    Il existe encore un autre angle sous lequel on peut parler du touriste : c’est le seul individu qui, dans une ville, croit qu’il y a encore quelque chose à voir après le désastre de la fin de l’Histoire. Qu’il se trouve à Madrid, à Hong Kong, à Paris, au Caire, à Shanghaï ou en Polynésie, il est nécessairement environné de naturels qui ne peuvent pas ignorer, eux, que tout est terminé, qu’ils habitent des répliques ridicules, des faux notoires et qu’ils n’en sont, par-dessus le marché, que les résidents très précaires.

    L’organisation de la circulation du troupeau touristique, c’est-à-dire aussi de sa liquidation, de son évacuation la plus rapide possible et de son renouvellement incessant, contient le sens même du totalitarisme touristique et l’épuise. Le désir du touriste s’accomplit  dans cette circulation et s’y assouvit. D’être objet d’une entreprise de flux suffit à son bonheur. Mais cette circulation est également un droit, et l’on peut définir chaque touriste comme un militant impitoyable de la nouvelle fierté ambulatoire. A ce titre, il ne saurait tolérer la moindre entrave à l’exercice de ses prérogatives. Et tout ce qui se met en travers du flux dont il fait partie doit être supprimé sans la moindre hésitation.

    *

    En bonus :

    Il faudra revenir aussi un jour sur ces labyrinthes que l’on dessine un peu partout dans les champs, qui couvrent progressivement les anciennes campagnes, et par le biais desquels le touriste se réconcilie avec le maïs.

    *

    Au détour, j’apprends par Philippe Muray qu’il passait ses vacances d’été dans un village perché proche d’un autre tout rouge où Beckett a vécu pendant l’Occupation. Il ne m’est pas difficile de reconnaître Roussillon.

    Ben oui, Philippe Muray s’épanouissait chaque été dans le Luberon avec beaucoup de ceux qu’il raillait dans ses écritures, y côtoyant notamment le principal promoteur français de la fête généralisée : Jack Lang.

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  • De Philippe Muray, théoricien du festivisme, je peux dire qu’il m’exaspère autant qu’il m’excite l’esprit et qu’au-delà de son discours ce que j’apprécie le plus dans ses écritures, c’est son style. Ainsi en est-il lors de ma lecture du volume deux de son Après l’Histoire publié aux Belles Lettres (Pourquoi commencer par le volume deux ? C’est que je n’ai pas le premier.)

    Cet Après l’histoire (deux) regroupe les textes écrits par Muray pour la Revue des Deux Mondes entre février quatre-vingt-dix-neuf et janvier deux mille, période propice à la fête généralisée.

    Ce que j’en retiens suit, dans un désordre volontaire (j’ai rapproché par ma volonté tel propos de tel autre) :

    Car ce sont tous les élus, jusqu’aux plus bas échelons, et toutes les collectivités locales, et toutes les entreprises, toutes les cités, et jusqu’aux particuliers, qui ne se connaissent plus d’autre objectif que l’accroissement du festivisme ; lequel est une bonne affaire, une manière idéale de satisfaire aux exigences du vivre-ensemble, une excellente façon de s’éclater ou d’être soi-même, et surtout la meilleure solution pour positiver.

    Le festivisme est la réponse de perroquet de notre époque à tout ce qui la dépasse.

    L’existence, ou du moins ce qui en reste à l’ère hyperfestive, n’est plus qu’une accumulation de grains de sable insensés, ou de dérapages fous et qui perturbent tout ; et que seuls les faits divers (comme les romans sur un autre plan) peuvent mettre en lumière. (…) Sur ce chapitre encore, la dictature hyperfestive se révèle l’héritière légitime des systèmes despotiques, et notamment de l’URSS de la grande époque, où les faits divers devaient tout simplement ne pas exister dans la mesure où la révolution avait eu lieu, et où, par conséquent, les sources mêmes du négatif avaient été taries.

    Les fêtes n’ont jamais existées que pour tourner mal ; et quand c’est la société entière qui est devenue fête, c’est elle qu’il faut conduire joyeusement au désastre. 

    Malheur à un monde où prolifèrent ceux qui se sont donné pour mission d’assainir la vie des autres ; et d’éradiquer cette « corruption » dont personne ne semble plus capable d’imaginer qu’elle est indispensable à la vie…

    Et plus cette volonté de perfection s’affirmera universellement, plus les passions régionales, claniques, sectaires, ethniques, racistes, identitaires, se développeront en retour de façon plus délirante. Il n’est d’ailleurs pas invraisemblable que l’extension tragique de ces délires parcellaires, que Freud appelait des « narcissismes de clocher », soit un des atouts du programme indifférenciateur mondial, justifiant que celui-ci intervienne sans relâche, et par le biais d’une police sans cesse mieux armée et plus sophistiquée.

    Sans compter, bien entendu, les crimes dits « pédophiles » ; mais nous savons déjà de quel bois se chauffe toute cette pédophobie obsessionnelle ; et qu’elle ne traduit que le désir de l’ « adulte » (de ce qui reste de l’adulte, autant dire rien) de s’identifier définitivement à l’enfant, et d’avoir en apparence aussi peu de droits (notamment sexuels), ou de devoirs, que lui ; et ainsi d’accéder comme l’enfant au statut exorbitant et dominateur de perpétuelle victime , donc de personne toute-puissante.

    Le ventre fécond de la civilisation qui commence est rempli de décrets punisseurs et persécuteurs qui ne demandent qu’à voir le jour ; et qui le verront. C’est toujours, Nietzsche l’observait, quand les empires s’effondrent que les lois s’y multiplient.

    Jadis, du temps où il y avait des événements, on mettait à mort les porteurs de mauvaises nouvelles. Quand il n’y a plus d’événements, ce sont ceux qui ont eu la folie d’en promettre que l’on châtie : parce qu’ils ont déçu.

    Dans la nuit des temps, c’est-à-dire hier, et quand l’Histoire existait encore quelque peu, les militants ne faisaient pas très bon ménage avec les policiers, au moins jusqu’à la prise du pouvoir (à partir de laquelle ils fusionnaient).

    Ce pays, comme les autres, a besoin de tout sauf d’être remis en marche. Pour aller où, d’ailleurs ?

    *

    Encore trois formules signées Philippe Muray :

    L’âge postdémocratique est un césarisme synonymique ; et un despotisme des clones ; ou un extrêmisme du même. C’est un extrêmêmisme.

    Le voisin est devenu quelqu’un comme tout le monde.

    Il n’existe d’ailleurs plus de hasard là où il ne peut plus y avoir d’ailleurs.

    Cette dernière pourrait donner lieu à une étude savante sur la double utilisation de « d’ailleurs ». Quel est, et d’où vient, ce premier « d’ailleurs » ? Ce sera pour quand je serai davantage intelligent.

    *

    Signalée par Philippe Muray, cette sentence tirée de la correspondance de Flaubert : Fataliste comme un Turc, je crois que tout ce que nous pouvons faire pour le progrès de l’humanité, ou rien, c’est exactement la même chose.

    *

    Et en épigraphe de son livre, la chansonnette de Louis-Ferdinand Céline :

    Mais voici tante Hortense

    et son petit Léo !

    Voici Clémentine et le vaillant Toto !

    faut-il dire à ces potes

    que la fête est finie ?

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  • On a le cœur gai dans les rues de Rouen à l’heure où je les emprunte ce dimanche afin de rejoindre ma voiture qui me mènera dans les vide greniers. N’y errent que des fêtard(e)s alcoolisé(e)s (pléonasme), dont deux filles avec leurs chaussures à la main et un garçon qui les a aux pieds. Ce sont les poètes du petit matin. « Une petite branlette / Avec des chouquettes / Et une cigarette / C’est chouette » chantent-ils en chœur.

    Le premier est à Rouen, rive gauche, quartier de Saint-Julien, trop étendu pour que je puisse le parcourir trois fois. J’en repars bredouille.

    Les suivants sont ruraux, Saint-Aubin Celloville et Les Damps, et minuscules. J’en repars également bredouille.

    Le dernier est dans la banlieue de Val-de-Reuil, à Léry où c’est la fête au village avec manèges assourdissants. J’y trouve Ellis Island, le petit ouvrage de Georges Perec publié chez P.O.L.

    Il me reste à parcourir quarante kilomètres pour rejoindre l’endroit où je suis invité à déjeuner. Arrivé sur place, je constate qu’il n’y a personne, pense que l’on m’a oublié et refais la route dans l’autre sens.

    Le soir venu, un téléphonage m’apprend qu’il s’est agi d’un fâcheux malentendu.

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  • Ce samedi, après avoir tourné à gauche à Pont-de-l’Arche, le rond rouge du soleil tentant de percer la brume matinale en ligne de mire, je passe près de la prison de Val-de-Reuil au bord de laquelle s’égaient des lapins en liberté, tourne une nouvelle fois à gauche et me gare à l’entrée de Saint-Pierre-du-Vauvray où c’est jour de vide grenier.

    La plupart des exposant(e)s pestent dans les nombreuses voitures qui stagnent sur la petite route entre le terrain de foute et la voie ferrée. Quelques-un(e)s sont déjà en place et d’emblée je déniche une caisse pleine de cédés neufs de musique classique à cinquante centimes pièce, même les coffrets, où je fais mon choix.

    Ce sera mon seul achat malgré de nombreuses allées et venues le temps que tout le monde déballe, de quoi me laisser le temps de penser à ce qui n’est plus et à la douleur que cela engendre, une douleur ravivée par chaque train qui passe, venant de Paris, allant à Rouen, s’arrêtant parfois à Val-de-Reuil, semblable à ceux dans lesquels se trouvait naguère celle qui de Paris m’a envoyé un mail hier après-midi pour me dire que je n’aurai pas de message d’elle ce matin, semblable aussi à ceux dans lesquels se trouvait antérieurement celle qui venait aussi de Paris (et même au début de Clermont-Ferrand) et dont en rentrant je trouve une lettre.

    L’une et l’autre voyageaient pour me rejoindre, mes deux jeunes amoureuses.

    Avec la première, pendant des années, nous nous sommes écrit tous les jours par lettres, jusqu’à ce que le temps nous sépare, et nous continuons à échanger des missives de façon irrégulière.

    Avec la deuxième, pendant des années, nous nous sommes écrit deux fois chaque jour par mail, et quand le temps nous a condamnés à constater la fin de notre histoire, avons continué, ce qui nous pose problème maintenant que, pour reprendre son expression, elle voit quelqu’un, et que je ne peux ignorer quand, et que cela ne me fait pas du bien.

    Dans la lettre reçue ce matin de la première, celle-ci me dit que j’ai tort de croire que c’est fini pour moi, qu’il peut y en avoir une autre, une troisième, malgré mon âge avancé, si j’« aide un peu le hasard » (ce grâce à quoi j’ai eu l’immense chance de les rencontrer l’une et l’autre).

    *

    Comme certains jours à la gare Saint-Lazare où le train pour Rouen est affiché tardivement, son message du jour sera affiché tardivement sur mon écran.

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  • Quelques gouttes de pluie lorsque je mets le pied dans la ruelle ce jeudi matin d’Ascension, pas suffisamment pour me faire renoncer aux vide greniers du jour. Les rues de la ville sont sillonnées par des voitures de la Police. Je me sens suspect. De même sur la route entre Rouen et Pont-de-l’Arche où patrouillent plusieurs véhicules de la Gendarmerie. J’arrive néanmoins sans ennui dans le bourg de bord de Seine où cette année la rue principale est coupée, ce qui ne m’arrange pas car elle mène à Martot où je veux aller ensuite. Cela générera pas mal d’embouteillages quand l’affluence se fera. Je le fais remarquer aux organisateurs à qui je demande avec insistance pourquoi une telle initiative. L’un finit par m’avouer que c’est pour installer quelques exposant(e)s dans cette rue principale afin de « faire travailler le Péhemmu ».

    A cause du temps incertain, les vendeuses et vendeurs sont en nombre restreint, j’en fais le tour deux ou trois fois sans rien trouver. Par un dédale de petites rues, je rejoins celle qui va à Martot où le déballage est également rétréci. J’y trouve néanmoins le petit ouvrage qu’a consacré le Musée des Beaux-Arts de Rouen aux œuvres de Modigliani qu’il possède.

    Rentré à Rouen, c’est à pied, longeant la Seine, que je vais à un troisième vide grenier qui se tient pour la première fois derrière le Hangar Vingt-Trois sur le terrain vague des concerts de l’Armada. Il est bien plus piteux que les deux autres. Je n’y trouve rien et note dans un coin de ma tête de n’y pas revenir, s’il y a une deuxième édition.

    Epuisé, c’est en bus Teor que je choisis de faire le chemin du retour. Je l’attends à la station du Mont-Riboudet où un déroulant lumineux me donne le programme des concerts gratuits du Printemps au Parc et des Bakayades au Grand-Quevilly (le pays de Laurent le Fabuleux où la fille Le Pen est arrivée première aux Européennes). Je ne prendrai pas cette année le métro qui mène dans cette banlieue. Cela va de Zebda à De Palmas, de quoi abrutir un peu plus la population locale.

    *

    Ce jeudi matin férié, le syndicat lycéen et le syndicat étudiant, tous deux d’obédience socialiste, appellent à une manifestation contre le résultat des Elections Européennes dont est responsable le Parti Socialiste (l’Huhemmepé l’ayant aidé). Quelques centaines de personnes font un cortège malingre dans les rues de Rouen, quatre jours après les faits. Rien de commun avec les grosses manifestations spontanées et quotidiennes de deux mille deux, où j’étais, et dont un certain nombre de participant(e)s votent maintenant pour le F-Haine qu’ils dénonçaient.

    *

    Trouvé par le physicien Etienne Klein, l’anagramme de Front National : entonnoir fatal.

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  • Lecture d’actualité, celle que je viens de faire du Journal de 1920 d’Isaac Babel, publié chez Balland en mil neuf cent quatre-vingt-onze avant le fâcheux retour des nationalismes en Europe.

    En mil neuf cent vingt, pendant le conflit russo-polonais, le jeune Babel est correspondant de guerre dans la première armée de cavalerie soviétique. Il prend des notes pour ce qui deviendra son recueil de nouvelles Cavalerie rouge, constatant que les combattants sont aussi barbares les uns que les autres, meurtres, pillages, viols, les premières victimes sont les Juifs : Tout se répète, et maintenant cette histoire Polonais-cosaques-Juifs qui se répète avec une précision extraordinaire, il n’y a que le communisme qui soit nouveau.

    Florilège :

    Jitomir, trois juin :

    … les Polonais sont entrés dans la ville et y sont restés trois jours, pogrom antijuif, ils ont coupé les barbes –ça, c’est habituel–, raflé 45 Juifs au marché, les ont emmenés aux abattoirs, tortures, langues coupées, des hurlements qui remplissaient la place. Ils ont brûlé 6 immeubles (…), le concierge dans les bras duquel une mère a jeté son bébé par une fenêtre en feu –abattus à coups de baïonnette, le curé a mis une échelle contre le mur de derrière et les a sauvés de cette façon.

    Rovno, six juin :

    Kouzitski, petite silhouette comique, vous dit votre avenir au pied levé sur des cartes à jouer, c’est un infirmier de Brodianitsy, les femmes le payaient en nature, avec des poulets rôtis ou leurs propres personnes…

    Beliov, onze juillet :

    Je dîne chez Mudrick, toujours la même chanson, les Juifs sont ruinés, la perplexité, ils attendaient le pouvoir des soviets comme des libérateurs, et tout à coup des cris, des cravaches, sales youpins.

    Beliov, treize juillet :

    C’est mon anniversaire. J’ai vingt-six ans. Je pense à la maison, à mon travail, ma vie passe vite. Pas de manuscrits. Cafard lourd, il faut que je le surmonte. J’écris mon journal, ce sera une chose intéressante.

    Boratine, vingt-deux juillet :

    Deux fillettes jouent dans l’eau, un étrange désir, difficile à surmonter, de dire des obscénités, des mots visqueux et grossiers.

    Verba, vingt-trois juillet :

    Puis le soir, le hareng, cafard parce que je n’ai personne avec qui copuler. Prichtchepa et Genia aguichante, agaçante, ses yeux juifs, étincelants, ses grosses jambes et ses seins tendres. Prichtchepa, les mains deviennent lourdes et le regard insistant de cette femme, et son imbécile de mari, qui nourrit dans une remise minuscule le cheval qu’on lui a donné en échange.

    Leszniow, vingt-six juillet :

    L’Ukraine est en feu. Wrangel est liquidé. Makhno se livre à des razzias dans les provinces d’Ekaterinoslav et de Poltava. De nouvelles bandes ont fait leur apparition, insurrection près de Kherson. Pourquoi se rebellent-ils, trouvent-ils la veste communiste trop serrée ?

    Laszkow, le onze août :

    Une infirmière est arrivée, comme tout cela est clair, il faut la décrire, elle est annihilée, veut repartir, elle a eu droit à tout le monde là-bas –le commandant, c’est du moins ce qu’on dit, Yakovlev et, horreur, Goussev. Elle est pitoyable, veut repartir, elle est triste, parle de façon confuse, veut me dire quelque chose et me regarde avec des yeux confiants, l’air de dire que je suis un ami, tandis que les autres, les autres sont dégueulasses. Comme on a vite fait de détruire un être humain, de l’humilier, de l’enlaidir. Elle est naïve, sotte, réceptive, (…) et cette ahurie parle de révolution…

    Adamy, le vingt et un août :

    Conversation avec Maximov, commandant de l’artillerie de la division, notre armée avance pour s’enrichir, ce n’est pas une révolution, c’est l’insurrection sauvage de la franche cosaquerie.

    Adamy, le vingt-deux août :

    Arrivée des Rouges dans un village, ils fouillent tout, font la cuisine, toute la nuit les fours sont en action, les filles des fermiers souffrent, les cris des cochons, le commissaire délivre des reçus. Malheureux Galiciens.

    *

    En mil neuf cent trente-neuf, Isaac Babel sera dénoncé par le mari d’une ancienne maîtresse pour avoir tenu en privé des propos antistaliniens. Emprisonné, sûrement torturé, il avouera et sera fusillé secrètement le vingt-sept janvier mil neuf cent quarante.

    *

    Le carnet original du Journal de 1920 a été retrouvé par hasard en Ukraine et restitué en mil neuf cent cinquante-cinq à la dernière femme de Babel, Antonina Nikolaevna Pirojkova, qui s’est chargée de décrypter le texte rédigé à la mine de plomb d’une écriture minuscule.

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  • Ecoutant l’autre samedi sur France Culture, l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut dont le thème est le don d’organes et l’invitée Maylis de Kérangal pour son roman Réparer les vivants, je constate une nouvelle fois qu’une question n’est jamais posée, celle qui m’a conduit à m’inscrire au Registre National des Refus de Dons d'Organes, il y a un certain nombre d‘années (c’était au temps du Minitel).

    A qui échoirait mon cœur ?

    En ces années quatre-vingt-dix j’avais déjà peur que ce soit à un électeur du Front National, d’où mon refus.

    Au fil du temps, cette probabilité n’a fait que s’accentuer. Je ne risque donc pas de changer d’avis, mais peut-être que la question ne se pose plus, mon cœur ayant avec l’âge atteint la péremption.

    *

    Résultat passé inaperçu de l’Election Européenne dans le Nord-Ouest, celui de la liste du Hennepéha, conduite par Christine Poupin, porte-parole nationale : zéro virgule cinq.

    *

    Nouveau nom pour mon pain quotidien acheté chez Robergeot, rue du Général-Leclerc : le Bâtard est devenu le Parisien.

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  • La seule élection pour laquelle je n’envisage pas de m’abstenir, c’est l’européenne. Cela ne signifie pas que je suis content d’y voter. Pour ça, il faudrait que j’aie le choix entre des listes internationales et non pas entre des listes tricolores de régions découpées à la hache. Il faudrait aussi qu’il y ait une liste dont les idées me conviennent tout à fait, ce qui est loin d’être le cas.

    Comme je ne veux pas que ma voix aille se perdre sur une liste qui n’aura pas d’élu(e)s, autrement dit de monter dans un car pour Bruxelles qui n’irait pas plus loin que Valenciennes ou même Amiens, j’élimine d’office les listes qui feront moins de cinq pour cent et parmi celles qui restent retient la moins pire : Europe Ecologie.

    Et donc ce dimanche matin, quoique n’ayant pas envie de faire le trajet Rouen Bruxelles assis entre Cécile Duflot et Jean-Vincent Placé avec dans le fond du car les autres dirigeant(e)s du Mouvement chantant en chœur des chansons vertes, c’est ce bulletin que je glisse dans l’urne, à huit heures et demie, au bureau de vote numéro quatre du lycée Camille-Saint-Saëns, où je suis le seul votant.

    En fin de matinée arrive celle venue de Paris pour voter. Je lui demande pour qui. Elle a choisi l’une des listes qui n’aura pas d’élu(e).

    *

    Pourtant presque renoncé à mon choix, vendredi dernier, lorsque j’ai entendu sur France Cul des extraits du vrai faux procès public de Daniel Cohn-Bendit organisé par ces rigolos d’Ecolos, dernier exemple du genre de pitreries dont ils sont coutumiers et qui me les rendent insupportables.

    *

    Dimanche soir, ce sont les résultats, catastrophiques comme il était prévu. Encore plus dans cette foutue région où je dois voter, incluant la Picardie et le Nord Pas-de-Calais. La liste de la fille Le Pen fait plus de trente-trois pour cent et elle rafle la moitié des sièges. Celle des Ecolos un peu plus de sept pour cent, une élue : Karima Delli.

    *

    D’Alain Bosquet, Pluie, lu par Philippe Meyer ce lundi matin dans sa chronique de France Culture :

    Il pleut sur

    Barcelone et l'Europe s'étrangle comme un kilo de fruits dans un sac trop serré.

    Il pleut sur

    Liverpool et l'Europe est pourrie comme un bateau rongé par un peuple de rats.

    Il pleut sur

    Magdebourg et l'Europe s'enferme comme le cancéreux pour se pendre au plafond.

    Il pleut sur

    Bucarest et l'Europe s'exile comme un ruisseau qui n'ira pas jusqu'à la mer.

    Il pleut sur

    Copenhague et les princes d'Europe ont enterré leur crâne avec leurs propres mains.

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  • C’est dans la loge Sept, en compagnie de quatre femmes de cinquante ans excessivement bavardes, que j’ai place ce samedi pour la soirée de présentation de la saison Quatorze/Quinze de l’Opéra de Rouen. A ma droite, dans la loge Cinq, se tient le jeune homme chargé de la technique, murmurant dans un micro. La scène est dans la pénombre.

    Le noir se fait dans la salle. Les musicien(ne)s s’installent derrière leurs pupitres suivi(e)s d’une jeune cheffe. Entrent en piste deux hommes sur lesquels tombe la lumière : Frédéric Roels, Directeur de la Maison, et Nicolas Mayer-Rossignol, Chef de la Région. Ce dernier y va de sa chanson, laquelle à l’avantage d’être courte mais n’échappe pas à la langue de béton :

    -Chaque représentation de l’Opéra de Rouen tutoie l’excellence, ose-t-il.

    Ils sortent et l’Orchestre se fait entendre avec un premier extrait du programme de l’année prochaine tiré des Contes d’Hoffmann d’Offenbach. Il ne m’étonne pas d’entendre que mes quatre voisines adorent Offenbach.

    Frédéric Roels revient et annonce le thème de sa programmation : Contes et légendes. Voilà qui est original et permettra le spectacle en famille, me dis-je in petto. « De tout temps, les hommes se sont raconté des histoires. » poursuit-il, formule à double sens dont il entend le premier et moi le second. Dans un rond de lumière apparaît un homme à cheveux longs grisonnants et à liquette rouge, celui que je redoutais : le conteur. Il nous narre une histoire édifiante puis va rejoindre le maître des lieux et tous deux longuement épluchent les spectacles de l’année prochaine où ne figure rien d’exceptionnel, la seule nouveauté étant l’arrivée du jazz.

    C’est plus qu’ennuyeux. Comme dans le train de mercredi, j’ai l’impression d’un interminable voyage dans un tunnel. Les intermèdes musicaux ne raniment pas mon intérêt. Ils sont tous lents. C’est une soirée à deux de tension. Le pire moment est celui où Frédéric Roels échange son rôle avec le conteur et nous dit en détail l’un des Contes de la lune vague après la pluie d’après Mizoguchi dont Xavier Dayer fera opéra.

    Une fois la danse expédiée avec des extraits filmés, je n’ai qu’un envie : déloger et me jeter sur une coupe de champagne. L’une de mes connaissances me dit s’être ennuyé pareillement mais une femme, au contraire, nous déclare que c’est la meilleure soirée de présentation de sa vie et que la pire fut celle avec Azoulaille (Hélios serait ravi d’entendre ça).

    C’est ensuite la folie habituelle de la lutte pour le petit four. Une dame dont la tête m’arrive à la poitrine me dit qu’elle veut sortir de là. « Vous avez raison, lui dis-je, ce sont les petits qui vont mourir les premiers. »

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