• Relisant certaines lettres de la princesse Palatine pendant que l’on conjure contre moi

                           Je reviens vers la princesse Palatine dont les Lettres à sa famille m’ont fait passer de bons moments. Femme de Monsieur, frère du Roi Louis le Quatorzième, lequel préfère les jouvenceaux, ce qui ne la dérange pas, elle est laide, dit-elle, et se demande si au bout de dix-neuf ans sans faire l’amour on redevient vierge. Ce qui me plaît en elle, c’est sa morale personnelle et le don qu’elle a pour écrire du mal des uns et des autres durant sa longue vie, d’abord mariée contre son gré, puis veuve, femme de caractère comme on dit, de qui il valait mieux ne pas être au service (quand un de ses pages se montrait récalcitrant, elle l’envoyait pour trois mois en prison se faire fustiger chaque matin).   

                Ce lundi après-midi, je tente de retrouver tous les papiers et carnets sur lesquels j’ai noté des bouts de sa correspondance pas encore cités dans ce Journal dont ceux-ci :

                Mon fils est allé à Paris, rendre visite à ses accouchées ; sa comédienne a mieux fait son affaire que Mme de Chartres : elle a un garçon. C’est malheureux que tous les bâtards de mon fils soient des garçons et ses enfants légitimes des filles… (trois novembre mil sept cent)

                Si l’on pouvait savoir dans l’autre monde ce qui se passe dans celui-ci, feu Monsieur serait fort content de moi, car j’ai cherché, dans ses bahuts, toutes les lettres que ses mignons lui ont écrites et les ai brûlées sans les lire, afin qu’elles ne tombent pas en d’autres mains… (trente juin mil sept cent un)

                Présentement, les jeunes gens se piquent de ne rien savoir ni connaître ; le jeune Tonnerre, qui est d’une des meilleures maisons, fait la révérence plus gauchement qu’aucun paysan derrière sa charrue : ne rien savoir, ne s’entendre à rien, être impoli, grossier, c’est là la gentillesse du temps actuel… (vingt-sept juillet mil sept cent dix)

                Ça m’est toujours un nouveau sujet d’étonnement que tant de gens aiment le café ; il a pourtant un goût horriblement désagréable. Je lui trouve une odeur d’haleine corrompue : le défunt archevêque de Paris sentait comme ça. (vingt-deux juillet mil sept cent quatorze)

                C’est inouï, les jeunes gens sont tels à cette heure que les cheveux vous dressent sur la tête ! Une fille n’a pas honte de procurer à son père une jolie femme de chambre, afin qu’il se montre indulgent quant à ses propres débauches. La mère laisse faire pour qu’on lui passe quelques frasques à elle aussi… (dix mars mil sept cent dix-huit)

                M. de Langeais, qui avait été déclaré impuissant après un congrès, avait quand même épousé une autre fille. Quand elle fut enceinte, Langeais dit à Benserade : « Eh bien voilà pourtant ma femme grosse. » Benserade répondit : « Hé, Monsieur, on n’a jamais douté de madame votre femme. » (dix-huit août mil sept cent dix-huit, Isaac de Benserade est né à Lyons-la-Forêt, je passais souvent devant sa maison l’année où je fis l’instituteur au hameau des Taisnières.)

                Je n’aimais pas le défunt pape ; mais pour dire la vérité vraie, il est impossible qu’il ait été amoureux de la femme du prétendant : premièrement il avait soixante-treize ans, secondement il était affligé d’une hernie ombilicale, si bien qu’il avait le corps tout ouvert et qu’il fallait contenir le ventre et les intestins à l’aide d’une plaque d’argent. Dans cet état-là on ne saurait être amoureux… (dix-neuf avril mil sept cent vingt et un)

    *

                Plutôt que relire ces Lettres de la princesse Palatine, il serait plus sage que je me plonge dans les Confessions d’un gang de filles de Joyce Carol Oates, livre qui pourrait m’aider à me prémunir de celles qui fomentent une conjuration contre moi, m’attendant quelque part avec leur batterie de cuisine, à qui j’ai répondu ceci :

                « Mesdemoiselles ou Mesdames

                C’est gentil de m’avertir des nouveaux horaires de votre cantine. Lesquels sont hélas bien réduits au regard de ceux qui étaient les siens au début.

                Comme je préfère les lieux ouverts pendant une plus grande amplitude, il est peu probable que je m’approche à nouveau de vos fourneaux. Je ne pourrai donc pas profiter de votre agréable accueil.

                Croyez que je le regrette.

                Bien cordialement. »

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