• Repas d’anniversaire à la Maison de la Lozère

                Ce jeudi soir seize février, devant la fontaine de la place Saint-Michel, haut lieu de rendez-vous parisien, j’observe celles et ceux qui se rejoignent, amoureux, amis, vagues connaissances, m’amusant de ces deux filles qui courent l’une vers l’autre le téléphone en main puis réalisent qu’elles se trompent, espérant que celle que j’attends ne va pas mettre trop de temps et justement la voici, souriante et tonique malgré une longue journée de travail. Nous allons à deux pas d’ici où j’ai réservé la seule table isolée. Le jeudi à la Maison de la Lozère, rue Hautefeuille, c’est aligot.

                Lequel prend place dans un menu. Après un apéritif de la maison (aux fruits rouges pour elle, à la châtaigne pour moi), nous passons commande, tandis que s’installe à la longue table voisine un groupe constitué d’ouvriers en bâtiment originaires de plusieurs pays lointains. Ce sont les invités d’un couple âgé du monde de la Justice. Lui est bruyant et égocentrique, elle ridée et discrète.

                Celle qui me fait face opte en entrée pour des petites crêpes au fromage nommées farinettes tandis que je choisis l’escalope de foie gras poêlée aux figues. Pour le dessert, nous sommes d’accord, ce sera un croustillant de pommes caramélisées au miel de châtaignier et à la brousse de brebis. Pour accompagner l’aligot, elle demande un filet de truite saumonée de Langlade et moi des tripoux. Une bouteille d’excellent vin du pays nous est conseillée.

                Pendant les agapes nous avons droit à un spectacle. La pièce de théâtre qui se joue à côté est excellente. L’avocat paternaliste, de son bout de table, donne la parole à ses invités. Il faut que chacun expose son plus beau souvenir professionnel. Le premier qui s’y colle raconte que c’est le jour où son père lui a donné un coup de pied au cul pour l’encourager à bosser. Au fil de la pièce, nous comprenons que l’avocat et sa femme, laquelle porte un prénom jamais rencontré ailleurs que chez Zola, régalent ceux qui ont réalisé les travaux de leur nouvelle maison. Le professionnel de la parole raconte ensuite comment il a rencontré sa femme, alors jolie petite blonde. Elle plaidait contre lui dans une affaire de proxénétisme. Quand arrive sur leur table l’aligot du jeudi soir, il se fait néanmoins un certain silence.

                Nous aussi, on l’aime cet aligot qui nous rappelle nos premières vacances il y a plus de six ans, au point d’en redemander, dont on ne peut guère manger. La serveuse nous dit qu’elle comprend, que l’important c’est toujours de savoir qu’on peut en avoir encore.

                C’est comme la vie, me dis-je, le soir des soixante et un ans. Un message venu d’Orléans le matin même me disait « Not dead yet… ».

    Partager via Gmail Yahoo!