• Stephen Wilks et Fernando Sanchez Castillo à l'Ecole des Beaux-Arts

                Les dictateurs (et par extension les dirigeants autoritaires) en ligne de mire dans la nouvelle exposition de l’Ecole des Beaux-Arts, un exercice de salubrité publique à l’heure où réapparaissent les drapeaux nationaux et les chants patriotiques, deux artistes invités sous l’enseigne Fabula, en écho au propos de l’artiste protéiforme Francis Alÿs : Là où les sociétés hautement rationalistes de la Renaissance ont ressenti le besoin de forger des utopies, nous devons à notre époque, créer des fables.

                Stephen Wilks présente ses immenses animaux en toile tout droit sortis de La Ferme des animaux de George Orwell, des animaux coutumiers de la scénographie urbaine et ayant récemment séjournés dans le quartier des Hauts de Rouen. De la fable théâtrale qui en est née, grâce aux enfants des écoles de l’endroit, avec l’aide des animateurs d’ateliers artistiques, de certain(e)s élèves des Beaux-Arts et de la classe d’art dramatique du Conservatoire, on trouve trace par photos, vidéo et dessins qui côtoient les animaux endormis, tout cela dans la première salle de la galerie.

                Fernando Sanchez Castillo occupe la seconde salle avec deux vidéos projetées en parallèle sur les murs, dont celle créée par lui en deux mille quatre pour la biennale de Sao Paulo et titrée Rich cat dies of heart attack in Chigago (ce qui fut le titre, destiné à contourner la censure, d’un quotidien brésilien lors d’un coup d'état militaire en mil neuf cent soixante-quatre). Comment se débarrasser de la tête de bronze d’une statue de dictateur renversé, voilà le thème de ce film. Projetée, traînée, martelée, incendiée, elle résiste malgré tous les efforts de ceux entre les mains desquels elle tombe, un film pour lequel le vidéaste s’est adjoint le délectable concours de la police espagnole (deux voitures de police se livrent à un ballet chorégraphique autour de la tête sur un terrain de foute en banlieue) et de la Guardia civil (laquelle parade à cheval autour de cette même tête). Indestructible, la tête de dictateur trouve finalement son utilité, elle servira de mangeoire à un âne.

                Le Melville, qui prétend être un cinéma d’art et d’essai, ne pourrait-il pas projeter ce film en avant-programme dans sa salle, me dis-je en sortant de là, méditant en même temps le propos, que je viens de lire, signé Jacques Rancière et tiré du Partage du sensible : Le réel doit être fictionné pour être pensé. Fictionné, voilà qui est bien dit.

                Deux vaillantes Beauzarteuses de ma connaissance sont derrière une table à l’extérieur. Je m’approche. Pour aider au financement d’un voyage à Berlin, elles vendent cakes, crêpes, beignets, bonbons et punch. Je m’offre un verre de punch accompagné de quelque nourriture, constatant que les acheteurs sont surtout les élèves de l’école et leurs professeurs, les bourgeois rouennais invités au vernissage préférant dans leur majorité (« Ah, c’est payant ! ») aller s’abreuver à l’habituelle buvette gratuite. C’est, un peu brutalement, une sorte de retour à la réalité.

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