• Tereska Torrès, libre

                Terminé l’autre nuit, le Journal de guerre de Tereska Torrès paru chez Phébus sous le titre Une Française libre. Avec les présupposés crétins qui sont les miens, jamais je n’aurais été mettre les yeux sur ce livre racontant, par elle-même, la vie d’une soldate gaulliste, s’il n’avait été publié par Jean-Pierre Sicre, le créateur des éditions Phébus, qui en a été licencié récemment par le nouveau propriétaire. C’est souvent comme ça dans l’édition, tu crées une petite entreprise, ça marche bien mais tu t’endettes quand même, un repreneur arrive, récupère l’affaire et te vire.

                Etonnante, cette Tereska Torrès, jeune aventurière rejoignant le général de Gaulle à Londres et qui, bien plus que la guerre, raconte au jour le jour et en toute impudeur comment elle passe de l’enfant à la femme. Une lecture passionnante et une description de la vie des résistants gaullistes loin de l’histoire officielle. Cette jeune fille mérite bien le qualificatif de Française libre, totalement libre.

                D’autres jeunes filles traversent ce journal, telle cette petite-fille du Prince Kropotkine, l’auteur de Paroles d'un révolté et de La morale anarchiste, dont la mort fut l’occasion de la dernière manifestation anarchiste en Union Soviétique, plus d'un million de personnes dans son cortège funèbre, le treize février mil neuf cent vint et un.

                Elle n’en parle pas beaucoup, Tereska, de cette petite Kropotkine dont elle ne donne pas le prénom. Trois fois, c’est tout.

                Onze mai mil neuf cent quarante-trois : «  Il y a une fille adorable à Moncorvo cette année, elle a l’âge que j’avais lorsque je me suis engagée. D’origine russe, elle s’appelle Kropotkine et son grand-père était, je crois, un anarchiste russe. Elle est toute petite et très naïve, comme je l’étais il y a trois ans. »

                Août quarante-trois : « J’étais au restaurant l’autre jour avec Kropotkine. Au moment de payer l’addition, la serveuse nous dit : « C’est fait, des Anglais assis à une des tables, en voyant que vous étiez dans l’armée française libre, ont payé pour vous et sont partis. »

                Deux août mil neuf cent quarante-quatre : « En allant à la caserne l’autre jour, j’ai appris l’affreuse nouvelle : la petite Kropotkine, qui souriait toujours, s’est suicidée. Elle était enceinte. Le père de son bébé a été tué en Normandie. Il était avec nous officier à Camberley. Personne ne savait qu’elle attendait un enfant. Kropotkine, en apprenant la nouvelle n’a rien dit à personne, elle s’est tuée. Elle était tellement jeune. Plus jeune que nous toutes, très profondément jeune et innocente. »

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