• Un autre lundi à Paris, au mois d'août

                Petit matin à la gare de Rouen, c’est lundi et j’ai un billet de train pour Paris. J’attends que s’affiche le numéro de la voie, c’est toujours la deux, mais sait-on jamais. Il y a là Alain « le play-boy communiste », comme il se nomme, paraît-il, lui-même. Ce clochard dépenaillé grave durant des heures d’obscures inscriptions sur les portes métalliques de la ville. Il y a quelques mois, deux travailleurs sociaux, comme on dit, en ont fait un pipeule local de premier choix, site Internet et film à l’appui. Une opération réussie, dans le genre « Mon fou est un artiste ». Jusqu’à faire naître la rumeur selon laquelle le plus connu des galeristes rouennais serait allé desceller certaines des portes métalliques à des fins mercantiles. Ce matin, le play-boy communiste montre qu’il n’est pas déconnecté de toute réalité :

                -Vous avez pas cinquante centimes ?

                Dans le train, comme d’habitude, quatre-vingt-dix pour cent d’hommes. Nous sommes au vingt et unième siècle mais ce sont toujours les mêmes qui vont à la chasse au bison. Je lis le Journal d’une jeune fille russe à Berlin publié chez Phébus, dans la collection Libretto, que j’ai acheté à petit prix chez Boulinier la semaine dernière.

                La jeune fille russe, c’est Missie Vassiltchikov. Elle raconte sa vie sous les bombes à Berlin, pendant la deuxième guerre mondiale, où elle côtoie les auteurs du complot manqué contre Hitler. L’un d’eux, Adam Trott, écrit d’elle dans une lettre à sa femme : Je suis revenu en voiture avec Missie et j’ai de nouveau été étonné et impressionné par elle… Il y a quelque chose du noble animal en elle, qu’on n’arrive pas à comprendre complètement… quelque chose de libre qui lui permet de planer très haut au-dessus de tous et de toutes choses. Bien sûr, c’est un peu tragique, en fait presque inquiétant…

                J’aime vraiment Missie, sa façon de vivre et de raconter les évènements les plus terrifiants avec ce qu’il faut de distance pour en faire autre chose qu’un simple compte-rendu, comme dans cet échantillon : Lors du premier bombardement, le pauvre garçon avait réussi à s’échapper de son hôtel en flammes en sauvant toutes ses affaires et il avait trouvé une chambre à l’Eden. Mais, la nuit suivante, celui-ci avait été détruit à son tour et il ne restait maintenant au prince que les vêtements qu’il avait sur le dos. Il déplorait surtout la perte de quatre paires de chaussures toutes neuves.

                Il fait soleil lorsque j’arrive dans la capitale. Je sors de terre à la station Hôtel de Ville. Sur la place, on prépare la commémoration de la Libération. Je réussis à franchir les barrières et traverse la Seine.

                J’explore les librairies du Quartier Latin, du moins celles où les livres ne sont pas remplacés par la papeterie, la rentrée scolaire étant une période fâcheuse pour qui aime fouiner dans les bacs de livres d’occasion.

                Dans l’une d’elle, une simple vendeuse se présente à un nouvel employé :

                -Je suis sociologue. J’ai bac plus neuf. J’ai même créé une entreprise de presse. Bon, j’ai dû arrêter. Mais tu comprends, je ne vais pas moisir ici.

                Je me pose ensuite dans le Jardin du Luxembourg. Près de moi sont assises deux femmes, l’une trente-cinq ans, l’autre vingt-cinq. La première a fait lire à la seconde une histoire qu’elle a écrite, d’enfant déplacé à la recherche de ses origines, et attend son avis. Elle veut savoir si ça ressemble à un livre. L’amie répond ce que l’on peut répondre dans ces cas-là, se risquant à quelques petites critiques, évidemment pas entendues.

                -C’est tragique ce que je raconte mais j’ai toujours voulu rester positive, dit la nouvelle écrivaine.

                L’avenir est souvent riche de futures désillusions, me dis-je, en mangeant un sandouiche au thon.

                Je ne fais pas grand-chose à Paris, autant dire rien. Je profite juste d’un billet de train que m’a offert celle qui n’est pas avec moi ; un billet qu’elle a oublié, par distraction, de composter lors de son retour à Rouen.

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