• Un lundi (comme un mercredi) à Paris

    Où boire un café en lisant tranquillement à Rouen vers quinze heures le dimanche entre Noël et Jour de l’An ? Pas au Bar des Fleurs envahi par les familles bourgeoises n’ayant pas encore fini de manger le repas qu’elles n’ont pas eu le courage de confectionner chez elles. Pas davantage dans les quelques cafés ouverts près de la gare occupés par tout un tas de laissés pour compte. Pas plus dans les cafés proches du marché de Noël remplis de familles de pauvres venues de la périphérie. Ailleurs ? C’est fermé. Il est temps d’aller s’aérer l’esprit à Paris, ce que je fais le lendemain lundi.

    J’attrape à Saint-Lazare un bus Vingt-Sept qui m’emmène à Saint-Michel où j’explore en vain les casiers de Boulinier et Gibert Joseph, consulte le plan des bus et constate que le Quatre-Vingt-Six, passant rue des Ecoles, peut me déposer devant le Book-Off de la Bastille.

    Un vieil homme est là, à ses pieds d’énormes sacs de livres, à son côté son fils quinquagénaire qui, semble-t-il, a convaincu son père de se débarrasser de sa bibliothèque où étaient de très bonnes choses d’après ce que je vois à la surface. Le vieil homme a un accent qui montre une origine étrangère. Il ne cesse de parler avec volubilité des livres qu’il pose sur le comptoir. De temps en temps, il en attrape un qu’il met près de lui « ah non, celui-là, je le garde ». Le personnel de Book-Off, bien que français, garde la froideur japonaise qui sied à cette entreprise nipponne.

    Il ne reste nulle trace du forfait quand je me présente au comptoir avec mes livres achetés, dont Cadence de Stéphane Velut, publié chez Bourgois, l’histoire d’un peintre à Munich, en mil neuf cent trente-trois, chargé de faire le portrait d’une enfant pour louer l’avenir radieux de la nouvelle Allemagne et qui se cloître en compagnie de son modèle dont il fait tout autre chose.

    Le Péhemmu chinois d’à côté étant fermé pour raison de vacances, c’est au Café des Phares que je déjeune d’une cuisse de canard confite aux pommes sautées. A ma droite deux copines de travail, l’une ne sait pas si elle sera invitée quelque part pour le réveillon du Jour de l’An, l’autre sera dans la famille de son copain mais celui-ci travaillait à Noël :

    -Je n’étais pas toute seule, dit-elle, j’étais avec mon sapin.

    Leur discussion porte ensuite sur la quenelle du Dieudonné dont elles ne disent pas grand-chose. Les serveurs sont jeunes, minces, aimables et rapides, le café offert avec le plat du jour, le quart de vin fort bon, l’addition de quinze euros cinquante.

    Avant qu’il ne pleuve, je rejoins à pied le Quartier Latin et repasse chez Joseph Gibert dont les bacs ont été renouvelés. J’y trouve Le Bordel de Soroca de Benoît Rayski (Denoël), une enquête sur les traces de Malaparte qui le visita et en fit une nouvelle, des jeunes filles juives y étaient enfermées pour les besoins de l’armée allemande et au bout de quinze jours assassinées à bord du Dniestr puis remplacées par d’autres.

    Un Vingt-Sept me conduit ensuite vers le Book-Off de l’Opéra où m’attendaient des livres dont j’ignorais jusqu’à l’existence : Jean Genet et Tennessee Williams à Tanger de Mohamed Choukri (Quai Voltaire), Discours sur Shakespeare et sur monsieur de Voltaire de Giuseppe Baretti (Anatolia), Fautrier l’enragé de Jean Paulhan (Gallimard) et Lettres de Claire Girard, une jeune fille fusillée par les soldats nazis le vingt-sept août mil neuf cent quarante-quatre (Roger Lescaret).

    *

    Cette polémique de la quenelle du Dieudonné, comment y échapper ? Sa tête au regard de paranoïaque où je devine une haine de soi est partout. Son salut nazi qui bande mou aussi, repris par ce foutu fouteux français jouant en Angleterre jurant qu’il ne s’agit que d’un geste antisystème (un millionnaire antisystème !).

    Cet ancien comique de télévision, dont l’un des enfants a pour parrain le père Le Pen, ne serait rien sans les centaines de milliers de bas du front qui font moutons de Panurge, mélange d’extrême droite, d’extrême gauche et d’extrême dérision façon Canal Plus.

    Des jeunes pour la plupart. Ce qui augure bien de l’avenir.

    *

    Il n’empêche que je suis contre la censure.

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