• Une femme à la Seine, un pique-nique hollandais, Wax Tailor et deux voiliers sud-américains, l'Armada de Rouen continue

                Quand elle revient, lundi matin, sa sœur l’accompagne et donc à trois nous nous plaçons, rive gauche, dans la file d’attente digne d’une exposition de peinture parisienne qui mène à la passerelle de l’Amerigo Vespucci, le plus couru des voiliers militaires de l’Armada. Nous sommes près du panneau qui indique qu’à cet endroit une heure d’attente est nécessaire avant de monter sur le bateau et il n’est pas encore dix heures, moment officiel du début des visites gratuites de navires.

                Quelques soldats astiquent les cuivres. Un autre hisse le drapeau. La pluie se met à tomber. Nous discutons avec les gens de devant. L’heure c’est l’heure chez les militaires et à dix heures, la longue colonne se met en branle. Une jolie soldate est de faction sur le quai. Elle tamponne les programmes officiels payants de Paris Normandie et les programmes officieux gratuits du département de Seine-Maritime, un coup de cachet près de la photo du voilier. La chasse au cachet est un sport pratiqué par beaucoup de visiteurs et visiteuses. Ce que le monsieur belge derrière nous appelle, en son langage exotique, se faire timbrer. Celle qui me tient la main veut bien se faire timbrer mais uniquement sur le sein gauche par un marin mexicain.

                Nous voici, après moins d’une heure d’attente, sur le magnifique bateau italien. Les beaux soldats se tiennent à disposition pour quelques photos, certains martialement regroupés aux ordres d’un gradé, d’autres posant avec qui veut. Une soldate distribue des photos timbrées du bateau. Une revue à la gloire de l’Amerigo Vespucci est gratuitement à disposition. Sa devise est traduite en français afin que chacun en prenne de la graine : « Ce n’est pas celui qui commence mais qui persévère. »

                Chez le voisin russe, le Mir, où nous mettons le pied après une attente moindre, l’ambiance est différente. Le décor est spartiate et dépouillé. Le petit commerce est présent avec une table d’objets souvenirs. « Il y a toujours quelque chose à vendre sur un bateau russe » entends-je derrière moi. Les soldats, hormis les gradés à large casquette, ne sont pas soucieux du pli du pantalon. Beaucoup sont très jeunes, dix-sept dix huit d’apparence, et pas de filles parmi eux  Je découvre un peu tard que le voyage à bord depuis Saint-Pétersbourg jusqu’à Rouen ne coûte que sept cents euros.

                Alors que nous avons quasiment terminé le tour du voilier, des cris se font entendre à bâbord. Une femme vient de tomber dans la Seine entre le quai et le bateau. Les jeunes soldats se précipitent, lançage de bouées et descente d’une échelle de corde. La femme est sauvée et la marine russe est applaudie. Certain(e)s visiteurs et visiteuses n’hésitent pas à filmer et photographier la repêchée étendue sur le quai. Nous redescendons, disant pis que pendre de ces malotrus, et passons rive droite.

                Là, le voilier hollandais Eendracht nous attire. Nous y grimpons et, à l’arrière du bateau, découvrons l’équipage en plein repas dans une vraie salle à manger de plein air. Un bar est ouvert pour le public. D’autres tables sont disponibles. Celle qui me tient la main fait usage de son anglais car c’est un endroit idéal pour notre pique-nique. Nous voilà déjeunant bien installés et pris par certain(e)s pour des membres de l’équipage n’ayant pas droit au menu copieux de la table d’à côté, où je goûterais bien le fromage au miel.

                Ensuite, je laisse les deux filles se raconter des histoires de sœurs et vers dix-huit heures, celle qui en a terminé (provisoirement) avec sa famille me rejoint et bientôt nous sommes entourés des grues du port derrière le chai à vins, attendant Wax Tailor dont le matériel est sur scène : un beau bureau avec des tourne-disques, des appareils à curseurs, et tout ce qu’il faut pour faire de la musique electro trip hop. Il s’installe aux commandes et quatre filles, chanteuse, violoniste, violoncelliste et flûtiste, lui tiennent compagnie et rendent cela mélodieux. De temps à autre, un garçon costaud, surgi des coulisses, le micro en l’air, fait comme il faut faire quand on est un rappeur. J’aime bien Wax Tailor et elle aussi aime bien ça, surtout quand les filles sont sur scène. Une bonne drache fait s’ouvrir une multitude de parapluies. Un arc en ciel s’ensuit. Wax essaie d’exciter la foule mais elle reste assez molle. Après lui, c’est Aaron mais c’est sans nous.

                De retour sur le quai, nous profitons du spectacle des bateaux illuminés. L’uruguayen militaire Capitan Miranda est encore ouvert à la visite. Nous nous accoudons au bastingage face à la presqu’île Rollet, aux premières loges (comme on dit) pour le feu d’artifice. Devant nous, les bateaux promène-touristes viennent se mettre en position. Dans l’un d’eux, j’ignore lequel, doivent se trouver ma fille et son copain. J’essaie de la découvrir, sans succès. Les marins mettent une bonne musique salsante. On est bien là, mais quand le moment du tir approche, l’équipage soudain inquiet s’avise que le bateau, lesté de tout ce monde à bâbord, penche dangereusement. Il faut reculer et ne plus rien voir. C’est finalement du quai que nous apprécions les belles bleues vertes rouges et or.

                Après, nous nous dirigeons, longeant le quai, vers la cathédrale, parmi beaucoup de visiteurs et visiteuses qui la plupart vont dans la même direction que nous. Un certain nombre de bateaux font l’objet de fêtes privées où pas question d’entrer. La punition de ces privilégié(e)s est de devoir écouter le jazz banal de l’orchestre livré avec les petits fours.

                Le bateau mexicain Cuauhtémoc est libre de toute opération commerciale. Illuminé comme un sapin de Noël, animé par une musique dansante et des marins galants, c’est notre dernière étape. Beaucoup de filles à cette heure tardive s’entretiennent avec les militaires à rayures. Il fait plutôt frais et venteux, pas un temps à mettre un sein dehors, et le cachet du bateau semble être égaré, nous ressortons de là un peu avant une heure du matin sans qu’elle soit timbrée.

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