• Vadrouillant dans les nouvelles salles du Musée d’Orsay

                Ce jeudi, en attendant qu’il soit l’heure de retrouver celle avec laquelle je fête mon anniversaire, je me présente à la caisse du Musée d’Orsay dont je veux découvrir le nouvel arrangement.

                Après m’être délesté de mon sac, j’attaque le bâtiment par le flanc gauche. La première toile que j’ai sous les yeux n’est autre que ce foutu Angélus de Jean-François Millet dont la reproduction au-dessus du lit de mes grands-parents m’énervait tant enfant. Un peu plus loin, j’apprécie l’imposant Labourage nivernais de cette peintre au nom étonnant Rosa Bonheur puis je fais comme le troupeau je grimpe tout en haut.

                Au travers d’une des horloges, je contemple le Sacré-Cœur puis passe par la librairie nouvelle consacrée à ce que l’on voit désormais sous la verrière : les trop connus Impressionnistes. Je fais miennes les toiles pas trop fréquentées : Blonde aux seins nus de Manet, Village de Voisins de Sisley (sans doute de là que venait Gilbert, l’ami de Pierre Louÿs, me dis-je), Berthe Morisot au bouquet de violettes de Manet encore (elle était vraiment jolie Berthe quand elle était jeune), L’évasion de Rochefort de Manet toujours (à la mer bleue fluorescente).

                Je salue en passant la Petite danseuse de quatorze ans de Degas dans sa cellule de verre.

                Des groupes de branlotin(e)s suivent des professeurs. L’un vise les Raboteurs de parquet de Caillebotte et s’inquiète qu’il y ait du monde devant. « On va les chasser, on va les chasser » s’époumone une sienne collègue rousse. Les élèves s’assoient sur le sol et apprennent que Caillebotte aimait faire du bateau et avait beaucoup de sous.

                -M’sieur, ça s’écrit comment Caillebotte ? s’enquiert l’un.

                Le professeur commence à épeler puis pris d’un doute vérifie discrètement sur le cartel le nombre de té.

                Je m’éloigne, vais voir les cinq Cathédrales de Monet devant lesquelles s’extasient brièvement des Japonais(e)s avant de courir ailleurs comme dans le cliché.

                J’évite l’horrible Saint Jean-Baptiste de Rodin et les nus couleur charcuterie de Renoir.

                Une femme âgée ose un « J’aime beaucoup les Impressionnistes ».

                Le portrait de Madame M. (au faux air de Frida Kahlo) ferme la section, peint par Henri Rousseau. Derrière s’ouvre un restaurant nouveau aux luminaires disagnes, fort fréquenté. Où va-t-on après ? « On suit les gens » entend-je, faisant de même.

                C’est ainsi que j’aboutis plus bas chez Van Gogh et Gauguin où je passe un certain temps, pas surpris d’entendre une vieille femme lire, au profit de ses semblables, sur le bas-relief de l’exilé des Marquises « La Maison du Jour ». « La Maison du Jouir », la reprend l’une d’elles, moins éteinte.

                Je passe sans traîner chez les laids Cross Seurat Signac, me réjouis de la bonne tête du jeune Bonnard dans l’Hommage à Cézanne de Maurice Denis, passe justement chez les Nabis où je regarde sa Marthe peinte sans les siens, salue Marcel Proust (Jacques-Emile Blanche) et Robert de Montesquiou (Giovanni Boldoni), découvre l’ironique nouvelle acquisition Au Conservatoire de James Ensor et termine par La Mort et le Fossoyeur du symboliste Carlos Schwabe, œuvre accordée à mon inquiétude en ce jour d’anniversaire.

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