• Vernissage de l’exposition Pierre Buraglio Echos de 14/18 (Son enfance, sa Normandie) au Musée de Louviers

    Objectif Louviers (ville natale) ce samedi après-midi afin d’être au vernissage de l’exposition de Pierre Buraglio Echos de 14/18 (Son enfance, sa Normandie) au Musée. Je me gare à proximité, près d’un nouveau et imposant bâtiment à l’architecture typique des lieux de pouvoir qui a pris place sur les ruines du garage Renault. S’y caseront bientôt les membres de l’agglomération de communes. Des ouvriers s’emploient aux finitions de l’entrée.

    Les cafés de la place Thorel sont fermés. Je descends jusqu’à l’église Notre-Dame et trouve place au Café du Parvis qui je fréquentais lorsque j’étais lycéen. Tout est refait à l’intérieur, sauf la clientèle. Sur la vitre latérale, une affiche invite au concert du Nouvel An qui n’aura lieu que le premier février au Grand Forum (avec un orchestre à cordes et l’Harmonie municipale), une autre annonce une soirée « Au théâtre ce soir » à la Médiathèque Boris-Vian où le club des lecteurs présentera Les Exquis Mots. Passent une voiture bleue de la Gendarmerie et l’Agglo[bus] rouge qui va de Maison Rouge à la Gare par la Zone d’Activités. Je n’envie pas celles et ceux qui vivent ici en deux mille quatorze.

    Mon café bu, je rejoins le Musée, lieu d’exception, afin d’y voir l’exposition avant l’arrivée de la foule. En mil neuf cent soixante-sept, Buraglio, proche du mouvement Supports/Surfaces, définissait sa peinture par trois refus : ceux de figurer, de signifier et d'exprimer, et un impératif : subvertir. Il a un peu oublié la radicalité de sa jeunesse. Ici, ses œuvres sont réparties en trois salles ; dans la première, celles faites pour l’Historial de la Grande Guerre de Péronne en deux mille onze, représentant, au fusain, à la gouache ou au pastel, sur du matériel de récupération (bois, calque, etc.), des objets abandonnés sur les champs de bataille des deux camps ; dans la deuxième, celles évoquant la guerre suivante qu’il a connu petit enfant et au travers de son père architecte de la reconstruction dans le Cotentin (en complément : trois sculptures en bois massif réalisées par des malades mentaux propriétés de l’artiste, Camion de Gérard Montané et Aéroplane et Arme automatique à deux canons de Raphaël Gavira) ; enfin, à l’étage, des œuvres de diverses époques évoquant la Normandie.

    Le monde arrive. Je reconnais certaines têtes vieillies qui ne semblent pas reconnaître la mienne, dont celle de ma prof d’anglais de sixième. Le vieillissement est un désastre qui vaut celui de la guerre, en plus durable. Avec un retard important sur l’heure indiquée, est lu par un trio un long, trop long extrait du dernier Prix Goncourt Au revoir là-haut de Pierre Lemaître, un exemple de mauvaise littérature, à effets et à pathos, aux antipodes de la sobriété des œuvres de Buraglio (qui doit penser beaucoup mais ne dit mot). La parole, c’est Denis Laheye, Adjoint à la Culture, qui la prend en indiquant que ce n’était pas prévu mais « Franck Martin n’est pas là, il ne viendra pas, son père est décédé ce matin ».

    Ça, c’est une nouvelle qui m’attriste, qu’Ernest Martin, l’ancien Maire autogestionnaire, soit mort. Denis Laheye, qui le connaissait depuis aussi longtemps que moi et dont je fus proche, du temps où nous vivions ensemble, si je puis dire, lui, moi et d’autres, en pseudo communauté aux Grands-Baux, commune des Baux-Sainte-Croix, et qui a bien changé depuis, l’évoque avec émotion mais en s’attardant surtout sur ses activités de médecin.

    Suivent Michel Natier, Directeur du Musée, puis Pierre Buraglio, bientôt soixante-quinze ans, au discours un peu brouillon, passant par Sur la route de Louviers et finissant par une citation de Pierre Mendès-France, autre ancien Maire de la ville, qui déclarait au Tribunal de Riom en mil neuf cent quarante et un « Je suis juif, je suis franc-maçon et je ne suis pas déserteur. Et maintenant, que le procès commence. »

    Il est temps de boire un verre de champagne et déguster quelques petits fours. Personne autour de moi ne parle de celui qui vient de mourir.

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    Sur l’une des œuvres exposées dans la salle Deuxième Guerre Mondiale, cette inscription manuscrite, peut-être tirée des carnets de prisonnier du père de l’artiste, ou bien venue d’ailleurs : « Ce n’est que plus tard que je constatai que les grenades allemandes ressemblaient aux bites des ânes. »

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    De Pierre Buraglio, j’avais déjà croisé le chemin le mercredi vingt-trois avril deux mille huit à Paris, avec celle qui me tenait alors la main et qui marche aujourd’hui dans la neige à New York.

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