• A la vente de livres d’occasion du Secours Populaire Français

    Comme les autres années, je trouve ce vendredi à dix heures moins le quart tous les professionnels et assimilés dans la copieuse file d’attente de la vente de livres d’occasion de la section rouennaise du Secours Populaire Français à la Halle aux Toiles. Deux dames ne sont pas dupes, qui disent haut et fort que c’est les femmes qui lisent, que s’il y a une grosse majorité d’hommes ici, c’est qu’ « ils sont là pour le bizenesse ».

    Elles n’ont pas complètement raison. A l’heure prévue, la porte s’ouvre, la dame du Secours Pop se colle contre le mur pour ne pas être emportée par la meute. Chacun se repère. Livres d’art, de philosophie et d’histoire ont la côte. Je fouine par-ci, par-là, et tombe (si je puis dire) sur un cageot en plastique plein de Saint-Simon. Et quels ! Les huit volumes des Mémoires en Pléiade. Cinquante euros le tout, ils proviennent de la Médiathèque François-Truffaut au Petit-Quevilly (Petit-Cul pour les intimes), portent le cachet réglementaire « Annulation Inventaire » et ont l’air d’être neuf. Il semble qu’on ne veuille plus lire les classiques dans la banlieue rouennaise. Les acheter ou pas ? L’ami de Stockholm m’en a dit si grand bien qu’à cause de lui, ou grâce à lui, je me dis oui. On verra bien si ça m’intéresse. Si non, ce sera pour le bizenesse.

    Je donne mon cageot à garder aux dames du Secours Pop et poursuis mon butinage. Quand j’en ai assez, je fais comme il faut faire, sans me disputer avec elles comme c’était le cas dans le passé, je prends un ticket avec une lettre au guichet A, vais présenter ma lettre (V comme Victor) au guichet B tenu par un homme à qui je paie et qui crie ma lettre vers le guichet C où un autre homme me redonne mes livres. Au fil des ans, je me suis adapté à la démocratie populaire, je ne risque plus le camp de rééducation par le travail.

    *

    Evidemment, j’y retourne au début de l’après-midi, au prétexte de donner quelques livres à cette bonne œuvre, et trouve encore de quoi me plaire car les bouquinistes du matin n’y voient pas très clair. Ainsi, publié par William Blake and Co, Chambres d’amour, textes et photos de Bernard Faucon, l’exemplaire numéro cent quarante-cinq sur deux cents, signé par l’artiste, sous couverture d’Arches, deux cent cinquante grammes. Il me coûte quatre euros et me donne à penser : Depuis quelques mois, presque chaque nuit, je rêve d’amour. Au réveil, je me sens vieux, rejeté de ce cercle de protections magiques qui entoure la jeunesse, en proie à toutes les menaces du temps.

    *

    Autre livre sortant du lot, celui-ci acheté un euro chez Book-Off mercredi dernier : Compartiment fumeurs, les poèmes de jeunesse de Zoé Valdès publiés chez Actes Sud, avec un envoi de l’écrivaine : « A mes amis Yves Simon et Stéphanie Chevrier, en poésie et vie, toujours. Paris, le 31 janvier 2002. »

    Un jour, les couples se séparent et leurs livres sont dispersés au hasard. La jeunesse s’enfuit et la vie aussi.

    Partager via Gmail Yahoo!