• A la vente de livres de Terre des Hommes à la Halle aux Toiles

                L’ouverture est prévue pour dix heures vendredi matin, je ne suis pas le seul à attendre. Je reconnais là des bouquinistes rouennais et des trafiquants divers, des particuliers aussi et de faux particuliers, aucune femme. C’est la vente de livres de Terre des Hommes, association caritative.

                L’un des organisateurs vient nous prévenir que la personne qui a la clé est bloquée à l’entrée de Rouen par une voiture ayant pris feu vers le Mont Riboudet. Dès qu’il a le dos tourné, les quolibets fusent : « C’est n’importe quoi », « On doit s’organiser mieux que ça », « Ça n’arrive pas avec les autres » (les autres, ce sont Amnesty International et le Secours Populaire). L’amateur de livres est homme patient et courtois. Je suis bien placé pour le savoir, moi qui peste intérieurement, voyant que le retard augmente le nombre d’acheteurs potentiels.

                La voiture coincée finit par arriver. Chacun pour soi se précipite à l’intérieur. Je sais que parmi l’énorme quantité de livres de toute nature se trouvent quelques pépites qui n’intéressent que moi.

                Cela se confirme. Je pioche d’abord La mort de C. suivi de Le puritain passionné de Gabrielle Wittkop (sulfureuse auteure du Nécrophile) paru chez Verticales en deux mille un, puis Les baromètres de l’âme (Naissance du journal intime), étude littéraire signée Pierre Pachet, parue chez Hatier en mil neuf cent quatre-vingt-dix. Le meilleur est pour la fin avec l’édition originale, parue dans la collection L’infini chez Denoël en mil neuf cent quatre-vingt-quatre, de Vivre, recueil d’articles de Pierre Guyotat, avec envoi de l’auteur à Hervé Bazin, une belle illustration des mœurs en vigueur dans l’édition française.

                Je revois bien la tête d’Hervé Bazin, auteur de beste-selleurs, vivant partiellement à Mont-Saint-Aignan, coiffé comme Mireille Matthieu. Je n’ai lu de lui que Vipère au poing, roman de détestation familiale. Son univers est à mille lieux de celui de Guyotat, mais Bazin étant alors un grand faiseur et défaiseur de prix littéraires, et la collection L’Infini étant dirigée par Philippe Sollers, autre grand faiseur et défaiseur, j’imagine que ce dernier a donné à l’auteur de Vivre une liste de gens influents à caresser dans le sens du poil.

                Pierre Guyotat ne s’est pas foulé. Il a juste écrit « Pour Hervé Bazin », daté « le vingt-cinq janvier mil neuf cent quatre-vingt-quatre » et signé. Evidemment, Bazin n’a jamais lu Vivre, mais a dû je pense envoyer un mot de remerciement, peut-être même s’est-il vengé en envoyant à Pierre Guyotat son livre suivant.

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