• A Paris, où je ne fais pas grand chose

    Un mercredi à Paris sans qu’il me soit possible d’y rejoindre celle qui passera brièvement me voir samedi ; dans le train qui m’y mène j’ai avec moi Les Grandes Blondes de Jean Echenoz, une histoire de fugitive poursuivie par des détectives approximatifs. Avec Jean Echenoz, on s’en fiche de l’histoire, ce qui est excitant c’est comment il la raconte et là, judicieusement, elles passent par Rouen, son histoire et la grande blonde prénommée Gloire, au moment où je quitte la ville :

    Tôt le lendemain matin, elle avait pris le premier train pour Rouen, puis l’autobus vers une maison de retraite aménagée dans un ancien couvent de la banlieue rouennaise. Après un peu d’attente au bout d’un couloir, un vieillard bien mis, frais comme un gardon, s’était présenté au bras d’une nurse. Gloire l’avait embrassé. Mademoiselle, avait dit le vieillard, vous êtes absolument charmante mais je ne crois pas que nous ayons été présentés. La nurse en arrière-plan secouait la tête. Tiens, papa, avait dit Gloire, je t’ai apporté du cognac.

    Ne pouvant m’en empêcher, je fais le tour de mes librairies préférées, rive gauche côté Quartier Latin, rive droite côté Halles. A l’issue, un éclectique butin me tire sur les bras. Comme échantillon citons équitablement deux livres dits érotiques : Délit du corps de Jacques Serguine (Editions Blanche) et Liaisons particulières de Marie France O’Leary (Le Cercle) et deux livres dits présentables : Le Livre d’un homme seul de Gao Xingjian (Editions de l’Aube) et le tome deux des Mémoires d’un esthète d’Harold Acton (Julliard), ce dernier payé un euro chez Gibert Jeune, qui valait autrefois deux cent cinquante francs, quel éditeur demanderait aujourd’hui trente-huit euros pour un tel ouvrage ?

    Je passe par la galerie Pièce Unique, rue Jacques-Callot, afin d’y voir l’une des dernières œuvres de Louise Bourgeois (quatre-vingt-dix-sept ans). La pièce n’est pas seulement unique, elle est également petite. Pas moyen d’y caser une jolie fille à l’accent étranger pour veiller sur Self Portrait qui n’est donc visible qu’à travers la vitrine. Il s’agit d’une grande horloge dessinée sur un drap de lin brodé aux initiales de l’artiste. En faisant le tour du cadran, on y voit  la vie de Louise matérialisée pas des bouts de tissus gravés à la pointe sèche, rehaussés d’encre et cousus. Suis déçu de ne pas pouvoir m’approcher.

    Pour déjeuner, je choisi un restaurant chinois dont l’ambiance paisible est brutalement perturbée par un mendiant vindicatif entré là pour traiter la clientèle de bâtards et d’égoïstes. Un peu de nourriture gratuite et la ferme intervention du vigile de la superette voisine ramènent le calme.

    Dans la rue, le calme est tout aussi relatif. Quand je sors, s’engueulent copieusement, prêtes à se battre, celles qui tout à l’heure jouaient les sourdes et muettes sollicitant du passant signature de pétition et surtout argent.

    Il fait lourd, le temps est à l’orage.

    Je sens ça encore après, quand ayant renoncé (j’ai la flemme)  à me rendre du côté de Matignon pour visiter les expositions Karel Appel et Ernest Pignon-Ernest chez Lelong et Shirin Neshat chez Jérôme de Noirmont, je me repose un peu, assis près de la fontaine des Innocents au milieu d’un tas de branlotin(e)s constamment surveillé(e)s par la police. Le moindre mot peut provoquer la bagarre.

    C’est bien plus tranquille à la Mezzanine du Centre Pompidou où, buvant un café verre d’eau, je termine la lecture des Grandes Blondes.

    En fin d’après-midi, juste avant que n’éclate l’orage, je rejoins la gare par la ligne Quatorze, petit point dans la foule qui sort de terre par le double escalier hélicoïdal. Là, je me heurte presque à l’une de ces musulmanes cachées sous une tente de campigne avec moustiquaire devant les yeux. Il s’agit, paraît-il, de ne pas être livrée au regard des hommes. Evidemment tous les mecs la matent, combien comme moi se demandant si avec cette chaleur elle est nue sous la bâche.

    Partager via Gmail Yahoo!