• A Paris, où les Sans Papiers rêvent de prendre la Bastille

    Clopinant sous le ciel gris, je commence ma tournée des librairies par le Book-Off du Faubourg Saint-Antoine, emplis un peu mon sac, puis déjeune d’un menu vapeur chez Délices Traiteur.

    Près de là, des Sans Papiers occupent les abords de l’Opéra Bastille. Ils sont une vingtaine de Chinois et plusieurs centaines d’Africains, en grève depuis des mois afin d’être régularisés. L’autre jeudi, les policiers les ont sévèrement évacués. Ils sont revenus, ont réinstallé leurs bâches en plastique bleu (certaines fixées à l’auvent d’un café), leurs cartons sur le sol, leurs duvets qui sèchent après la pluie de la nuit. C’est l’heure du repas improvisé dans le camp de réfugiés surveillé par les Céhéresses dont certains mangent un sandouiche dans leur camion.

    Les passant(e)s passent et vont à leurs affaires. Je mets une pièce dans leur tirelire et fais de même.

    Me voici à Saint-Michel où je poursuis ma quête de livres tandis que la pluie se met à tomber. Je m’en abrite au Malongo de la rue Saint-André-des-Arts le temps d’un café, espérant qu’elle cesse mais c’est foutu. Je me demande comment ça se passe sous cette flotte pour les Sans Papiers de l’Opéra Bastille.

    Je reste un long moment  à l’abri sous l’auvent de Gibert Jeune, puis d’un coup de métro termine mon périple au Book-Off de la rue Monsigny. Il pleut toujours. J’ai mal au pied. Je vais m’asseoir à la gare Saint-Lazare où les trains circulent plus ou moins bien. Retards annoncés, trains supprimés, réservations non marquées, du haut-parleur ne cessent de surgir des messages au bord de la crise de nerf. Je lis l’une de mes acquisitions, les Lettres à Madame Calandrini de Mademoiselle Aïssé dans l’édition Rivages Poche. Cette demoiselle, ancienne princesse circassienne, fut achetée à l’âge de quatre ans au début de l’année mil six cent quatre-vingt-dix-huit par un diplomate français qui voulait plus tard en faire sa fille ou sa maîtresse et qui, comme l’indique sobrement la quatrième de couverture  « choisit de faire coïncider les deux rôles ».

    Mon train fait partie de ceux qui partent à l’heure. J’y consulte les livres achetés, dont Enfants des morts, gros roman d’Elfriede Jelinek (Le Seuil), Un beau matin d’été et Instants de guerre, deux des ouvrages autobiographiques sur fond de Guerre d’Espagne de Laurie Lee (Libretto Phébus) et Plein de vie, biographie de John Fante par Stephen Cooper (Dix/Dix-Huit).

    A l’arrivée à Rouen, juste dix minutes de retard à cause des pierres de Rolleboise, j’appelle celle qui s’inquiète pour moi à Paris et qui découvre en ce moment sur les chantiers certaines réalités du monde du bâtiment.

    L’autre samedi, elle me racontait qu’il arrive lorsqu’on détruit un édifice d’y trouver un squelette, celui d’un ouvrier sans papiers mort accidentellement et dont, pour éviter les ennuis, on a coulé le corps dans le béton.

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