• A Paris un lundi, entre deux épisodes neigeux

    Il fait beau et froid ce lundi à Paris. Sur les marches des stations de métro et sur les trottoirs, des traces de sel et de sable témoignent de l’épisode neigeux (Météo France dixit) du milieu de la semaine dernière. Comme tous les provinciaux, je l’ai suivi avec émotion sur un écran de télévision. C'était dans mon hôtel de Nantes. Un prochain épisode neigeux est annoncé pour le milieu de cette semaine et j’ai hâte de voir une nouvelle fois, pendant les trois quarts du journal télévisé, les habitant(e)s de la capitale faire face aux éléments déchaînés.

    Aujourd’hui, tout est tranquille. Une dizaine de cars de la Gendarmerie Mobile veille sur le Quartier Latin où comme ailleurs on ne pense qu’à magasiner pour Noël, d’où trop de monde dans mes librairies habituelles. Je ne m’y attarde pas, préférant le calme du Centre Pompidou de l’autre côté de la Seine.

    J’y visite rapidement l’exposition Nancy Spero, artiste féministe dont les œuvres parfois inspirées d’Artaud ou de Genet m’intéressent peu, notant juste sur mon carnet cette phrase du second, tirée de Notre-Dame-des-Fleurs, manuscrite sur l’un des dessins de la dame Les bourgeois passent, font la foule et ne voient rien, ne savent rien, à peine sont-ils insensiblement déplacés dans leur calme état de confiance par ce rien. Je me demande si je dois prendre ça pour moi.

    N’ayant pas envie de revoir elles@centrepompidou, je passe à l’étage Art Moderne, un peu moins calme, la faute aux groupes scolaires qui obligent les gardien(ne)s à quitter leur chaise. « On va où là ? » demandent des excité(e)s à l’une des accompagnatrices. « Je sais pas. De toute façon, on suit monsieur Micheton. Comme ça, y a pas de problème. »

    Je tente de m’isoler, découvrant au hasard de mes pérégrinations un Francis Bacon nouveau Van Gogh in a Landscape (datant de mil neuf cent cinquante-sept), retrouvant des portraits signés Richard Avedon déjà vus au Jeu de Paume (dont ceux de Jean Genet et Francis Bacon), m’attardant devant les installations Ghost Drum Set de Claes Oldenbourg (batterie molle) et Oracle de Robert Rauschenberg (métallique et tout en angles : baignoire, escalier, montant de fenêtre, portière de voiture, tuyau et poste de radio).

    Assis sur une banquette, face à la salle contenant les deux Balthus, l’Otto Dix et le Christian Schad dont je ne me lasse pas, j’observe l’usage abusif de l’appareil photo.

    Un dernier passage chez Kandinsky d’où me chassent des élèves en vadrouille et l’institutrice qui leur fait découvrir l’art par le petit bout de la lorgnette : « Ça, c’est quelque chose que vous pouvez faire en classe, une déclinaison avec des couleurs. »

    Je quitte Beaubourg et, avant de rejoindre Saint-Lazare, je passe chez Book-Off, rue Monsigny. Les librairies comme les cafés sont le refuge des doux dingues. L’un est là qui pérore sur la quantité de livres à lire et le temps qu’il faut pour cela, saoulant tout le monde. Un client lui fait remarquer que les livres sont faits pour être lus, ce à quoi il répond que des livres il fallait qu’il en lise deux par nuit dans l’école où il était.

    -Alors, vous étiez dans un camp de concentration, réplique le client en quittant la librairie, ce qui fait bien rire les jeunes vendeuses et vendeurs, Français et Japonais.

    A la gare Saint-Lazare, c’est la pagaille habituelle pour les banlieusard(e)s : trains annulés, retardés ou annoncés à la dernière minute. En direction de la Normandie, c’est au quai. Je rentre dans l’un de ces nouveaux trains régionaux où l’on se pèle pendant tout le voyage, me demandant comment ça se passe pour celle qui est à Londres avec son école cette semaine.

    *

    J’écris cela en écoutant La Fabrique de l’Histoire sur France Cul où il est question ce mardi matin de l’insurrection de la caserne Richepanse à Rouen en mil neuf cent cinquante-cinq durant la guerre d’Algérie.

    *

    Terminé la Correspondance Gustave Flaubert Ivan Tourgueniev (Flammarion), deux extraits signés Flaubert :

    Ah ! que je voudrais ne plus songer à la France, ni à mes contemporains, ni à l’humanité ! Tout cela me soulève le cœur de dégoût. (samedi dix-sept juin mil huit cent soixante et onze)

    Je me demande si dans quelque temps il sera possible de vivre sans m’occuper d’argent, sans être banquier, sans vendre ou acheter n’importe quoi. –Jolie perspective pour l’humanité ! –Tous épiciers ! (mardi seize janvier mil huit cent soixante-dix-sept)

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