• À Paris un mercredi d’orage, avec visite rapide de l’exposition Simon Hantaï au Centre Pompidou

    Longtemps un homme à bonnet, sac à dos et blouson de cuir gonflé par une bedaine m’a servi de balise sur le quai Deux pour le train de sept heures vingt-six vers Paris. Il a dû prendre sa retraite, mais est efficacement remplacé par un jeune homme maigrelet qui se rend dans la capitale sans le moindre bagage. Placé derrière lui, je suis assuré d’être en face d’une porte quand le convoi s’arrête. Ce mercredi matin, il est là comme d’habitude lisant le même journal gratuit que la plupart. Près de nous, deux hommes à lunettes sont plongés dans leur téléphone. Une jeune femme blonde les rejoint qui embrasse chacun d’eux sur la bouche puis sort, elle aussi, son téléphone (une nouvelle façon de se dire bonjour entre collègues, je suppose). Le train est à l’heure et je suis en face d’une porte, trouvant place facilement. Parmi les derniers à s’asseoir, un grand garçon a du mal à caser ses jambes et sa vieille caisse à outils. Il lit. Je préfère regarder par la vitre la pluie d’orage qui tombe sur la Normandie.

    D’orage, on parle à Paris au café Le Faubourg où j’attends l’ouverture du Book-Off de la Bastille. Il a bien claqué ce matin vers sept heures, semble-t-il. « J’aimais bien ça quand j’étais petite, explique une dame au serveur, mais maintenant j’ai peur. ».

    Vers midi, je rejoins Beaubourg à pied par un temps lourd afin de visiter la rétrospective que consacre le Centre Pompidou à Simon Hantaï, vaste exposition avec peu de public, où je ne reste guère, pour la raison que chez Hantaï je n’aime (je m’en rends compte) que ce que je connaissais déjà : les Tabulas de la fin, vastes quadrillages monochromes réalisés par pliages et nouages.

    Vaincu par la chaleur, je renonce au Quartier Latin et d’un coup de métro me rapproche du Book-Off de l’Opéra. Je passe un long moment au Fontenoy, rue Saint Augustin, à la seule table donnant sur la rue et l’air poisseux.

    Quand je ressors de chez Book-Off le ciel est noir, l’orage menace. Je ne traîne pas les rues et entre à temps Chez Léon près la gare Saint-Lazare. A peine suis-je assis que l’orage éclate. Il fait bientôt noir dans la rue. Deux facétieux au comptoir tente d’embrouiller l’un des piliers du bar : « Il fait nuit, c’est l’heure de rentrer chez vous ». Je lis l’un des livres achetés, Thomas Bernhard et les siens de Gemma Salem (La Table Ronde), ouvrage fait de témoignages des personnes ayant connu l’écrivain de son vivant (j’y découvre sa vie commune, jusqu’à la mort de celle-ci, avec « La Tante », Hedwig Stavianicek, de trente-cinq ans son aînée, rencontrée quand il avait dix-huit ans).

    L’orage est fini quand il est l’heure de mon train mais ses conséquences sont visibles dans la gare. Tous les trains sont bloqués par des branches tombées sur les voies. Je demande à un contrôleur si malgré mon billet à tarif réduit je peux monter « vues les circonstances » dans le premier qui doit partir. Il me l’accorde. Je trouve place près d’une vieille femme et cinq minutes plus tard nous partons

    -Ah, tout de même, toutes les semaines y se passe kekchose, s’exclame ma voisine.

    Je fais remarquer à la grincheuse qu’il s ‘agit de l’orage, pas d’un sabotage.

    -L’orage a bon dos, me répond-elle. Quand on travaille, on doit pouvoir rentrer chez soi à l’heure.

    Je laisse tomber, songeant que cette vieille devrait être à la retraite. Il est dix-neuf heures vingt-cinq, mon train était celui de dix-neuf heures cinquante, j’ai donc vingt-cinq minutes d’avance dans un train en retard mais je les perds bientôt car il se traîne dans une zone boisée du côté de Villennes-sur-Seine. On a le temps de bien voir le paysage. La vieille pousse des soupirs. Elle téléphone que c’est vitesse d’escargot.

    Après plusieurs arrêts et de nouveaux ralentissements, nous arrivons à Vernon où descend ma voisine, « Je sens que la semaine prochaine y vont trouver aut’chose », dit-elle dans son téléphone à celui qui vient la chercher.

    Je suis à Rouen à vingt et une heure quinze, un quart d’heure après l’heure où serait arrivé le train que j’aurais dû prendre, s’il avait été à l’heure, plus détendu que celles et ceux qui à l’arrivée de ce train ont un retard d’une heure et demie.

    *

    Le midi chez Délices Traiteur où je déjeune d’une formule vapeur, un groupe de touristes indiens ou pakistanais. Femmes et enfants s’asseyant à table. Hommes passant commande.

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