• A Venise, pendant une semaine

    Celle avec qui je pars en vacances m’attend au bout du quai à la gare Saint-Lazare, samedi vingt février à quatorze heures neuf. Je l’aperçois avant qu’elle ne me voie. Elle dessine un sourire sur son visage quand elle me découvre dans le flot des valises à roulettes. Nous allons pour une semaine à Venise, une ville à découvrir pour elle, à redécouvrir pour moi.

    Sérieusement en avance, c’est dans les jardins de Bercy, près du bâtiment de Frank Gehry dans lequel niche maintenant  la Cinémathèque, que nous passons l’après-midi avant de trouver couchette dans le train de nuit.

    Nous sommes six dans le compartiment parmi lesquel(le)s une chieuse qui ne veut pas dormir dans la couchette qu’elle a réservée, une jeune mère avec son bébé étonnamment calme et un ronfleur chronique. Celle qui m’accompagne récupère de toute sa fatigue amassée, je sommeille une ou deux heures, c’est le prix à payer pour au petit matin, sitôt sortis de la gare de Santa Lucia, s’émerveiller. Ses larmes aux yeux tiennent lieu de mots.

    Nous achetons un laisser naviguer de sept jours et un premier vaporetto nous emmène à l’Hôtel Città di Milano, à mi-chemin entre le Rialto et San Marco. Internet m’a permis d’y obtenir une chambre avec salle de bains pour cinquante euros la nuit (petits-déjeuners inclus).

    Chaque jour nous explorons en bateau et à pied la cité et ses dépendances, ne nous attardant pas là où se trouvent les masses, vagabondant longuement dans les quartiers délaissés et les îles boudées, par temps de brouillard, de petite pluie, de ciel nuageux ou tout bleu.

    C’est ainsi qu’on nous voit passer dans l’île Sant’Erasmo où Venise tient potager (nous y cherchons en vain un café), sur la Guidecca (nous y faisons nos courses chez Prix, magasin discompte), au cimetière de San Michele (nous y saluons Igor Stravinsky, Serge de Diaghilev et Ezra Pound, ce dernier trouvé avec l’aide patiente d’un jardinier), dans la Galerie Contini (nous y visitons l’exposition Zoran Music qui aurait eu cent ans cette année), à Murano (nous y déjeunons avec les ouvriers à l’osteria Ai Bisatei), à Burano dont les maisons colorées trouent la brume (marchant sur la digue, à gauche la mer, à droite ses débordements, nous y découvrons l’aqua alta), à la Fondation Guggenheim (je la photographie en compagnie de la sculpture de Marino Marini The Angel of the City dont le sexe pointe vers le Grand Canal), à Cannaregio (nous y grignotons des ciccheti au bar de la Cantina Aziende Agricole où le verre de vin est à quatre-vingts centimes), au pied de la Salute (d’où nous contemplons la ville près du Boy with frog de Charles Ray, qui appartient à la Fondation Pinault et dont la nudité blanche est sévèrement gardée par un vigile), au Florian (nous y buvons le caffe’ espresso et le cioccolata in tazza, assis sur le velours rouge où nombre d’augustes fesses se sont posées avant les nôtres), à Dorsiduro (nous y jouons les pique-assiettes chez Venice Projets le soir du vernissage d’Esseri, l’exposition des œuvres inintéressantes de Massimo Lunardon), au marché du Rialto (nous y considérons les Vénitien(ne)s botté(e)s achetant les pieds dans l’eau un matin de forte aqua alta).

    J’en passe et beaucoup, nous marchons et vaporettons jusqu’au bout de la semaine, jusqu’à ce que le train du retour s’impose à nous.

    Le grand déplaisir de Venise, c’est qu’il faut en revenir.

    *

    Il en est aussi un petit : la présence des touristes (dont nous sommes, mais essayant de ne pas y ressembler), parmi lesquel(le)s de lamentables Français(e)s piquant des croissants sur la table d’à côté au petit-déjeuner sans se soucier de la présence de la serveuse d’origine étrangère, simple meuble.

    *

    Pitoyables aussi, celles et ceux qui se photographient avec leur téléphone au Florian et envoie ça directement à leurs connaissances. L’une photographie la carte, qu’on n’ait pas de doute dans son entourage sur le prix des consommations.

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