• A voleur, voleur et demi

                Commencé Histoire de ma mère d’Inoué Yasushi au Nouveau Cabinet Cosmopolite, cette collection à l’étonnante couverture rose publiée chez Stock, un ouvrage dans lequel l’auteur raconte les difficiles dernières années de sa vieille mère, que je lis dans un exemplaire acheté dans un vide grenier l’an passé, exemplaire ayant, je le découvre, appartenu à la bibliothèque Les Jardins d’Arcadie à Mont-Saint-Aignan.

                Bibliothèque fermée ou livre volé, je ne sais, mais penche pour la première éventualité. Pas envie d’être accusé de recel. Il y a bien longtemps que je me suis acheté une conduite (j’adore cette expression), bien longtemps que je ne vole plus de livres et ceux qui l’ont été autrefois ne se distinguent pas des autres dans ma bibliothèque.

                Sauf un, c’est vrai, marqué du sceau d’une bibliothèque municipale beaucoup  fréquentée au temps de mon adolescence, une biographie de Georges Darien, signée Auriant et intitulée Darien et l’inhumaine comédie. Un ouvrage édité en mil neuf cent soixante-six (ça fait donc plus de quarante ans, il y a largement prescription) par Jérôme Martineau pour les Amis de l’Ambassade du Livre, Galerie de la Reine à Bruxelles, tiré à mille exemplaires numérotés. C’est l’exemplaire numéro cent dix-huit qui est devenu mien le jour où il a glissé dans ma poche.

                J’avais des excuses, pauvreté et cætera, et aussi mauvaises fréquentations, ce Georges Darien, par exemple, anarchiste individualiste, ennemi du régime parlementaire, du cléricalisme, du militarisme, du colonialisme, et auteur de ce livre pernicieux intitulé Le Voleur.

                Ce souvenir m’a donné envie d’y retourner du côté de Georges Darien et quel bonheur de relire dans La Belle France, ce cri du cœur : Je n'aime pas les pauvres. Leur existence, qu'ils acceptent, qu'ils chérissent, me déplaît ; leur résignation me dégoûte. A tel point que c'est, je crois, l'antipathie, la répugnance qu'ils m'inspirent, qui m'a fait devenir révolutionnaire. Je voudrais voir l'abolition de la souffrance humaine afin de n'être plus obligé de contempler le repoussant spectacle qu'elle présente. Je ferais beaucoup pour cela. Je ne sais pas si j'irais jusqu'à sacrifier ma peau ; mais je sacrifierais sans hésitation celles d'un grand nombre de mes contemporains. Qu'on ne se récrie pas. La férocité est beaucoup plus rare que le dévouement.

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