• « Agir en primitif et penser en stratège » avec l’Ensemble de Musique Incidentale, salle Sainte-Croix-des-Pelletiers (Le Printemps de Rouen)

    C’est le Printemps de Rouen, une animation musicale cent pour cent fourneyresque dont l’avantage cette année tient au fait que s’en occupe Hélios Azoulay. Samedi soir, je me présente donc en avance à la salle Sainte-Croix-des-Pelletiers où cet individu se donne en spectacle avec son Ensemble de Musique Incidentale. Les portes sont ouvertes. Je demande au veilleur si on peut entrer, oui. Il me donne un billet. Je ne suis pas étonné d’être le premier.

    Hélios Azoualy est sur scène, rêvant à son piano. Nous nous saluons. Il s’étonne de la salle déjà ouverte et demande à ce que non.

    -Mais bien sûr vous pouvez rester Michel vous ne me dérangez absolument pas.

    J’ai en main le programme où ne figure rien d’autre que Agir en primitif et penser en stratège, forte pensée chère à son cœur, de René Char, tirée des Feuillets d’Hypnos.

    -Vous le connaissez déjà en partie le programme, Michel, d’ailleurs bientôt vous allez écrire qu’Hélios Azoulay c’est toujours la même chose.

    -Comme Mozart, lui dis-je.

    -Je prends ça comme un compliment.

    Il va et vient. J’en profite pour regarder de plus près le nouvel aménagement à moindre frais de la salle. Des sièges en plastique blanc (avec un liseré rouge), emboîtables, forment dix-huit rangées de quatorze, de quoi s’asseoir pour deux cent cinquante-deux. Ce qui est bien avec ce nouveau mobilier c’est qu’on peut empiler tout ça au fond de la salle et y mettre plein de gens debout, m’a dit l’autre jour un organisateur de concerts où l’on saute en l’air. Ce soir c’est assis. Je regagne ma place et Hélios de retour au piano m’offre une Gnosienne commentée. C’est la préférée de celle qui n’est pas là, retenue par le travail à Paris, dommage pour elle.

    C’est l’heure de la vraie ouverture des portes. On s’installe ici et là. Il reste pas mal de chaises vides, les vacances peut-être, et d’autres concerts en concurrence ce samedi. Derrière moi deux femmes sont dubitatives, la virginité du programme les inquiète.

    -Faut pas que ça dure trop longtemps parce qu’on risque de s’ennuyer si c’est pas génial.

    De génie il est bientôt question, de celui de tout un chacun chantant n’importe comment L’Air du toréador de Carmen, un matériau dont Hélios Azoulay a fait une œuvre (refusée par la Sacem), ici interprétée brillamment par Arnaud Kientz (baryton-basse) accompagné par Laurent Wagschal au piano, œuvre dont je ne me lasse pas. Il en est d’autres que j’ai déjà entendues et des nouvelles comme ce Pompes et circonstance (hommage à Elgar et à la musique anglaise en général), un cédé en fait les frais pulvérisé à grands coups de pompes. Comme aussi Œuf  de George Brecht, et il en est dans la salle pour frémir au bruit de l’œuf que l’on casse sur le piano avant de le vider à l’intérieur d’icelui. Comme aussi Music for a while (d’après Purcell) de Bertran Berrenger dont Marielle Rubens (mezzo-soprano) a à souffrir, manipulée sans ménagement par Hélios. Comme aussi Etude pour public d’Hélios Azoulay qui sert de pause : un billet de vingt euros sorti de la poche du compositeur est posé par lui-même sur un pupitre au pied de la scène ; après un temps d’attente raisonnable, une spectatrice se dévoue et l’empoche.

    Emouvante parenthèse : Marielle Rubens donne une chanson composée au camp de concentration de Terezin (Theresienstadt), telle une bande-annonce pour le concert Musique des camps organisé le huit mai prochain au Temple Saint-Eloi par ce même Hélios Azoulay.

    Celui-ci achève le public et le concert avec Nigthmare. A l’issue, nous sommes encore une douzaine dans la salle à constater que le meilleur de l’œuvre est dans le silence qui la suit.

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