• Alexandre Tharaud et Jean Guilhen Queyras à l'Opéra de Rouen

                Rideaux tirés à l’Opéra de Rouen ce mardi soir. Derrière le bar, de lourdes tentures marron isolent cette noble maison de la ville. Je trouve ça dommage. J’aime, avant le spectacle et à l’entracte, considérer de cette hauteur la vie grouillante de l’extérieur, surtout en cette période de foire Saint-Romain, de l’autre côté de la Seine. Un vrai plaisir pour les yeux, dont je suis privé.

                C’est concert ce soir, avec deux virtuoses. Alexandre Tharaud au piano, déjà apprécié l’an dernier à la Halle aux Toiles, partage l’affiche (comme on dit) avec Jean-Guilhen Queyras au violoncelle. Je m’installe au premier balcon. Une nouvelle fois, j’ai la chance d’être côté jardin, d’où sont visibles les touches du piano. Dernière moi est assise une tribu venue de Mont-Saint-Aignan. Je crois reconnaître les parents des jeunes gens rencontrés samedi dernier lors de la manifestation de droite, mais ils sont bien moins distingués que leurs enfants et se laissent même aller à des plaisanteries : « Il y a deux sortes de comique : le comique de répétition et … le comique de répétition. »

                C’est Christophe Queval, dont j’apprécie le goût de l’adjectif, qui signe la présentation des œuvres jouées : la Sonate Arpeggione pour violoncelle et piano et la transcription pour violoncelle et piano de la Sonatine en ré majeur de Franz Schubert, la Sonate numéro un pour violoncelle et piano en ré mineur de Claude Debussy et la Sonate pour violoncelle et piano de Francis Poulenc. Il a pu consulter le dossier médical de chaque compositeur. Tous les trois n’allaient pas très bien : syphilis et accès de dépression pour Schubert, mal implacable et angoisse persistante pour Debussy, dépression récurrente pour Poulenc. De bien bonnes raisons pour chacun de composer de la musique gaie, ce qui est le cas. Je me laisse emmener par le jeu des deux jeunes talents, l’ « aristocratique et sensuel » (c’est le magazine Gramophone qui l’écrit) Alexandre Tharaud et l’énergique et velouté (c’est moi qui l’écris) Jean Guilhen Queyras.

                Gros succès, applaudissements nourris, bravos répétés, le duo offre à chaque rappel un petit supplément au programme, on en est à quatre lorsque le violoncelliste revient sans son instrument, un violoncelle signé Gioffredo Cappa de mil six cent quatre-vingt-seize à lui prêté par la Société Générale.

                A la sortie, une bonne drache m’accueille. Imprudemment, j’ai omis d’emporter un parapluie. C’est donc sur ma tête que les grêlons rebondissent. Ça ne m’empêche pas de penser. Je songe à une émission de France Culture entendue il y a quelques mois, dans laquelle des musiciens parlaient des prestigieux instruments prêtés par des mécènes. Si le mécène juge que le musicien ne mérite plus cet honneur ou qu’un autre le mérite désormais plus que lui, il le lui retire sans tarder. Je me demande comment ce musicien fait pour survivre à une telle humiliation.

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