• Allant voir quelques amis au cimetière de Montmartre

    Plus d’une fois les cheminots choisissent pour faire grève le jour où j’ai prévu d’aller à Paris. Cela complique un peu le voyage mais a l’heureux effet de livrer tous les trains à mon billet au tarif réduit. Il en est ainsi ce mercredi. Je pars un peu plus tard que prévu et dans le train lit Une fille pour l’été de Roland Jacquard (Zulma Poche), autre écrivain pleurnicheur (ah les problèmes existentiels de qui avait juré se suicider et ne l’a pas fait). Devant moi, un homme s'intéresse à la chimie de mouillage, mais cela n'a rien à voir avec les filles.

    Une fille pour l’été narre les amours imaginaires d’un homme vieillissant avec des étudiantes. Jacquard, qui se veut élève de Cioran, s’y montre souvent pompeux et pédant. Si je le lis, c’est qu’il a beaucoup lu et beaucoup vu. Je croise avec plaisir dans son opuscule Pessoa, Scutenaire, Bukowski, Jacob, Schnitzler, et note sur mon carnet pour aller y voir de plus près les noms de Kim Yong-ha (auteur de La Mort à demi-mots), d’Ennio Flaiano (auteur du Journal des erreurs) et de Peter Altenberg (auteur d’aphorismes) dont il dit ce Nietzsche des bistrots viennois nourrissait une passion pour les nymphettes qu’il photographiait dans des poses qui, aujourd’hui, lui vaudrait les foudres de la justice. J’en ai terminé quand le train entre en gare.

    C’est le hasard qui détermine ma matinée (j’ai vendu la veille un livre que je vais livrer). De Saint-Lazare, je rejoins la rue Caulaincourt à pied. Le livre glissé dans une boîte à lettres et le soleil de la partie, je vais dire bonjour à quelques amis au cimetière d’à côté, en attendant dix heures et l’ouverture de la Bouquinerie du Centre.

    Priorité des priorités : Marcel Jouhandeau dont je repère facilement l’emplacement de la tombe sur le plan. Sur le terrain les choses sont plus compliquées, pas moyen de la trouver malgré plusieurs allées et venues qui dérangent les chats. Je tombe (si je puis dire) sur celle de sa femme « Ici repose Elise Jouhandeau ». Lui et elle ne gisent pas ensemble (ce qui est bénéfique à la tranquillité du lieu). Tant pis pour Marcel, me dis-je, je reviendrai le voir un autre jour avec celle qui doit me rejoindre en fin d’après-midi chez Book-Off.

    Je cherche alors Stendhal et le trouve facilement. Il est en bord d’allée sous le nom d’Henry Beyle. Stendhal est entre parenthèses. Sa tombe est due à ses amis de mil neuf cent quatre-vingt-douze. Enfin, je me mets en quête de François Truffaut. Là aussi je me perds, pas moyen de le dénicher. En revanche, dans son quartier, je trouve Godard (Pierre).

    La Bouquinerie du Centre, avenue de Clichy, n’est plus aussi pimpante qu’il y a une dizaine d’années lorsque je la fréquentais régulièrement (celle qui me tenait alors la main habitait tout près). Néanmoins, j’en repars avec Censures (de la Bible au Larmes d’Eros), le catalogue de l’exposition du même nom organisée par la Bibliothèque publique d’information du Centre Georges Pompidou en mil neuf cent quatre-vingt-sept/quatre-vingt-huit.

    A la fin de cet ouvrage se trouve la liste des écrivains ayant eu des ennuis. On y trouve Stendhal dont toutes les œuvres furent mises à l’Index en mil huit cent quarante-huit. Jouhandeau qui écrivit bien pire (ou bien mieux) n’y est pas. Prudent ou pusillanime, il publiait anonymement et en édition très limitée ses ouvrages à scandale.

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    On a retrouvé Dominique Raffin, victime autrefois d’un envoi de Serge Doubrovsky. L’un de mes fidèles lecteurs l’a déniché en sixième occurrence chez Gougueule, son nom étant cité par Ouiquipédia dans l’article consacré à Paris Normandie. Mon lecteur me qualifie affectueusement de menteur. C’est juste que je suis allé un peu vite, ne regardant que les premières réponses du moteur de recherche. Je suis heureux d’apprendre que Dominique Raffin fut rédacteur en chef du quotidien régional dans les années quatre-vingt-dix.

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    L’auteur du Livre brisé et de l’Après-vivre me vaut un second mail, celui d’une lectrice de hasard prénommée Elisabeth et qui signe « Une admiratrice de Serge Doubrovsky ». Elle n’aime pas ce que j’en ai dit et prophétise : « On trouvera toujours, même à deux euros, des livres de Serge Doubrovsky, mais de vous, que restera-t-il ? » Elle est méchante, Elisabeth.

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