• Au Familistère de Jean-Baptiste André Godin à Guise

    Il est juste quatorze heures trente quand elle et moi nous présentons au guichet du Familistère de Guise ce jeudi vingt-huit octobre, juste le temps de payer et nous intégrons la première visite guidée, pas par goût pour ce genre d’exercice mais c’est obligatoire pour entrer dans certains des bâtiments créés par Jean-Baptiste André Godin, ce patron du dix-neuvième siècle inspiré par l’utopiste Fourier.

    La guide nous raconte donc l’histoire de Monsieur Godin qu’elle tient absolument à distinguer des paternalistes, de ses travailleurs socialisés et des bâtiments construits par lui pour eux à côté de l’usine (logements, économats, écoles, théâtre, buanderie, piscine et cætera). Elle prend appui sur le plan relief fait par l’un des ouvriers en mil neuf cent trente et un dont elle éclaire chaque lieu cité d’un rayon laser rouge puis nous emmène dans la cour intérieure magnifique et grandiose du pavillon central du Palais Social.

    L’essentiel de l’endroit est restauré et transformé en musée pour le projet Utopia mais y demeurent encore quelques habitant(e)s. Je n’écoute que d’une oreille ce que nous dit la guide préférant faire courir mes yeux des coursives à la verrière. J’entends que la suite de la visite se fait librement. Des questions ? Celle qui m’accompagne veut se renseigner sur l’envers du décor, qu’en était-il de ces tableaux muraux où les familistérien(ne)s inscrivaient les manquements de leurs voisin(e)s ? Elle n’obtient pour réponse qu’un « C’était après la mort de Godin ».

    C’est une bonne chose de laisser le curieux et la curieuse aller à leur guise.

    Nous entrons dans le bâtiment, montons les escaliers, parcourons les coursives,  découvrons la coupe qui en est faite de la cave au grenier. Toute cette brique rouge ravit celle qui me tient la main, ainsi que les différents modèles de poêles issus des usines du sieur Godin.

    Nous parcourons les deux appartements reconstitués, consultons certains des documents, ressortons pour aller voir dans l’aile droite le grand appartement bureau de Monsieur Godin et terminons la visite des bâtiments par ceux de la buanderie et de la piscine dont le plancher pouvait remonter afin que les moutard(e)s y aient pied. Les écoles ne se visitent pas, devenues communales quand les choses ont mal tourné pour l’usine coopérative des poêles Godin qui fut rachetée par des capitalistes, cela paradoxalement en mil neuf cent soixante-huit, les appartements du Familistère étant vendus à leurs occupant(e)s.

    Il est temps de songer à trouver un lit pour la nuit ce que nous ne réussissons à faire qu’à Saint-Quentin dans un sinistre hôtel Balladins dont le gérant au petit matin s’en prend à l’une des femmes de ménage à la peau noire.

    On préfère ne pas s’attarder et retourner ce vendredi vingt-neuf octobre chez Jean-Baptiste André Godin afin de parcourir ses jardins avant l’arrivée d’autrui. L’une des portes de l’aile droite du Palais Social est ouverte et, ignorant l’écriteau qui l’interdit aux visiteurs, nous entrons.

    Ce côté est encore habité et assez délabré. Elle en fait moult photos. Une porte pivotante utilisable à tout âge permet de s’esquiver dans le Jardin de la Presqu’île. Nous faisons le détour du kiosque à musique avant de nous y enfoncer.

    Personne d’autre que nous dans cette savane récemment tondue parcourue de curieux cheminements en bois dont ne comprenons pas l’usage et qui nous mènent au bord de l’Oise. Nous passons un pont et arrivons par une porte latérale dans le Jardin d’Agrément au fond duquel se trouve l’écrasant mausolée de Godin jouxté des statues d’un brave travailleur et d’une honnête mère de famille dont le poupon dégradé a des trous terrifiants dans le visage.

    Elle photographie ce malheureux enfant et souhaite ensuite faire un tour dans l’usine. Je lui dis qu’on ne nous laissera pas entrer et c’est exactement ce qui se passe.

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    Le signe qu’il est temps de partir : l’arrivée des campigne-cars. Dix heures et demie : deux de ces bouses blanches stationnent devant le Familistère.

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    Avant de quitter Guise, nous prenons un café thé au bar Pet Emu, un endroit où l’on sent bien que le monde d’aujourd’hui n’a rien à voir avec les rêves de Monsieur Godin.

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    M’aurait été utile lors de ce périple en Lorraine, Champagne-Ardenne et Picardie, d’avoir en poche le Tivibigone commercialisé par les Mutins de Pangée. Cette petite télécommande est capable d’arrêter toutes les télés. Au restaurant de l’Hôtel Beaudon, à Pierrefonds, pour notre ultime déjeuner de vacances, j’annonce à la patronne que si elle n’éteint pas son écran plat nous allons ailleurs. Commerçante avisée, elle obtempère.

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