• Au festival Viva Cité de l’année deux mille dix

    Samedi, je me réveille avec les mouettes et me rends au vide grenier de Buchy, lequel se tient sous les vieilles halles et alentour. Je constate qu’y vendent surtout des professionnel(le)s et en repars sans rien.

    De retour à Rouen, je vais faire un tour au marché, considérant, rue Martainville, des peintres du samedi en blouse blanche. Ils font de l’impressionnisme contemporain. L’un d’eux réussit à peindre l’église Saint-Maclou sans l’échafaudage qui la défigure depuis lurette.

    Un peu après midi, je suis au Son du Cor attablé avec Lucidité, le roman de José Saramago, prix Nobel de littérature, mort le dix-huit juin dernier. L’auteur y raconte comment un jour au Portugal les électrices et les électeurs votent blanc à quatre-vingt-trois pour cent et ce qui s’ensuit. C’est assez vite ennuyeux.

    Près de moi s’installe une assemblée de trentenaires. Elles et eux sont revenu(e)s à Rouen pour le festival Viva Cité. Ils font le point sur leur vie d’aujourd’hui, la plupart en couple avec enfants, l’un divorcé déprimé et un, trouvé là par hasard, qui a mal tourné (drogue, alcoolisme et prison) sur qui l’on s’apitoie et dont on dit du mal quand il est aux toilettes. On se lave les mains avant de prendre les enfants des autres sur ses genoux. On fait des photos. Comme c’est émouvant et comme les moutard(e)s sont fatigant(e)s.

    L’autre semaine sur France Culture, Eduardo Arroyo parlait de la machine à expulser les enfants des musées. J’en réclame une pour expulser les enfants des terrasses de café.

    Quand celle qui me rejoint le ouiquennede arrive, nous filons à Sotteville-lès-Rouen et arrivons juste à temps pour voir les deux clounes du Teatro Gestual de Chile mettre le souk dans la circulation automobile. En plein carrefour, ils organisent des courses entre des voitures, en bloquent d’autres, entrent dans un bus pour embrasser les voyageurs. L’un s’invite comme passager sur le scouteur d’un branlotin vexé. L’autre ouvre la porte arrière d’un cate-cate d’où tombe un pot de je ne sais quoi. Quelques-un(e)s des maltraité(e)s s’énervent sous les huées du public. Une femme furieuse abandonne son mari aux mains des clounes chiliens et fend la foule pour aller acheter son pain. Un sexagénaire excédé, parfait représentant de l’homo automobilus, sort de sa voiture et veut se battre avec les deux emmerdeurs. Cela commence à devenir vraiment intéressant, d’autant que se profile à l’horizon le cortège d’un mariage mais c’est le moment où arrive la voiture complice dans laquelle disparaissent les deux zozos sifflotant.

    Après ce début prometteur, l’édition deux mille dix de Viva Cité nous déçoit : trop d’acrobaties, trop de spectacles tout public (c’est-à-dire pour enfants), trop de musiciens, trop de pas grand chose à voir, et quand il y a peut-être un peu mieux, comme pour la dispute de couple de Kitschnette, on ne voit rien, trop de monde autour. Abandonnant les spectacles, nous buvons un verre de vin blanc sous l’un des chapiteaux puis dînons tôt d’un excellent mafé arrosé de jus de gingembre à l’une des gargotes sous les arbres. Pendant ce repas, un fantastique coup de trompe annonce l’ouverture de la gargote à patates. Les enfants se mettent à hurler et à pleurer dont l’un plus que les autres et sa mère de crier qu’on n’est pas sur un terrain de foute ici, avant de prendre la fuite avec son moutard. La machine à expulser les enfants des terrasses existe donc, un peu bruyante peut-être.

    Comme c’est toujours aussi calme côté spectacles après le repas, on décide d’aller boire un verre à la Bodega, cet attrayant bar provisoire installé chaque année dans la cour d’une école voisine, et là nouvelle déception, plus de Bodega. La remplace plus loin et bien moche, une Cité bistrot Raspail où nous n’avons pas envie de consommer.

    -Qu’est-ce qu’on fait ? me demande-t-elle. On rentre ?

    Le temps fort de la soirée (comme on dit) est le lâcher de plumes des Studios de Cirque de Marseille à minuit et demi, pas plus envie qu’elle d’attendre si longtemps pour me faire emplumer.

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    D’Eduardo Arroyo, dans la même émission de France Culture, ce plaisant aphorisme : « Rien n’est plus ignoble que le sourire d’un enfant. »

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    L’écrivain portugais qui méritait le prix Nobel s’appelle Antonio Lobo Antunes.

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