• Au Magasin Général de Tarnac (ou quatre jours chez les terroristes)

    Le vingt juillet, nous arrivons à Tarnac, « village remarquable » dit la pancarte à l’entrée, connu pour ses deux chênes et pour une autre raison. Je me gare sur la place principale, pas loin de l’église, entre les deux arbres. A l’employée de la boulangerie, je demande où se trouve l’épicerie de Julien Coupat. Avec un grand sourire, elle nous indique la route de Peyrelevade. Bientôt, nous sommes assis à la terrasse du café du Magasin Général. Il est neuf heures moins le quart, c’est bientôt l’ouverture de l’épicerie et du café restaurant. Arrive le beau camion blanc avec lequel se fait la tournée dans les villages avoisinants. La boisson bue, celle qui m’accompagne demande une chaise afin de s’installer confortablement de l’autre côté de la rue. Elle dessine l’épicerie et le camion. Assis près d’elle, je considère le va-et-vient des client(e)s de l’épicerie et du café, jeunes et vieux, bébés avec leur mères, paysans. On se plaît ici et nous décidons d’y rester un peu.

    A cette fin, nous trouvons place au campigne municipal où elle monte la tente tandis que je déploie le fil à linge.

    A midi, nous testons le repas ouvrier du Magasin Général. C’est délicieux : soupe de melon glacée, assiette de charcuterie et de crudités, plat de pâtes, plateau de fromages locaux, gâteau au chocolat, vin rosé et café, tout cela pour douze euros avec un service des plus professionnels. Je demande comment ça va pour les gens d’ici qui ont des ennuis. On me répond que ça va un peu mieux, que le contrôle judiciaire est moins strict mais qu’il y aura le procès un jour ou l’autre. Après quelques courses à l’épicerie, nous rentrons au campement.

    Dans la nuit la pluie tombe drue et ce n’est pas pour se terminer, une bonne raison de rester plus que prévu à Tarnac. Nous allons nous réchauffer au café du Magasin Général où nous faisons bientôt figure d’habitués. L’un des serveurs nous offre café et chocolat. Nous réservons une table pour la soirée grillades du mercredi soir.

    Le lendemain, attendant que le temps s’améliore, nous sommes toujours là, en terrasse du café de ce Magasin Général où l’on parle aussi bien anglais et allemand que français. Un camion empli d’animaux vivants, comme le précise la pancarte au cul du véhicule, s’arrête. En descendent le marchand plus vrai que vrai, lunettes d’écailles et bretelles sur ventre conséquent, accompagné de son aide. Ils sont rejoints par un paysan incroyablement vieux, plié en deux, appuyé sur une canne en bois, qui serre énergiquement la main de tout le monde. Ils boivent un coup pour fêter une affaire. Ici, c’est le bistrot du village, complètement corrézien avec ouverture sur l’international. A tout moment, celui que l’on prend pour un client peut se révéler être le barman ou l’épicier de secours.

    Nous sommes encore présents le vendredi, déjeunant une nouvelle fois excellemment et servis copieusement. Sur la table une bouteille de pinard (comme on dit ici). On décide d’inscrire l’endroit dans notre guide Chic et pas cher. L’une des jeunes mères nous rappelle la fête du soir.

    Nous y arrivons parmi les premiers alors que Mana Orchestra termine sa répétition et que Benjamin, l’épicier itinérant, remplit le camion blanc. Arrive un vieil homme en fauteuil roulant poussé par une jeune femme exotique. Celle-ci se transforme en serveuse de tapas pour la soirée, tandis qu’au bar on sert la sangria à la louche. Elle s’appelle Zoe, est anglaise plus que nature, une grosse fleur rouge dans les cheveux.

    Deux jeunes mères sont dans l’orchestre, l’une à l’accordéon, l’autre à la clarinette, bien douées toutes les deux, et trois garçons, au violon, à la contrebasse et à la batterie, pour un répertoire qui passe par Astor Piazzola et Boby Lapointe. Michael, l’un des serveurs, massacre Amsterdam et Poupée de cire, poupée de son. La sangria aidant, me voici bientôt dansant avec elle au milieu des gens du cru et des terroristes. Parmi les danseurs, un bébé de quatre semaines dont c’est le premier bal.

    Le lendemain matin, nous allons dire au revoir (on repassera un jour ou l’autre, espérons-nous). Avant de partir, j’achète à l’épicerie pour elle et pour moi la carte postale montrant l’intervention des gendarmes cagoulés le onze novembre deux mille huit. En légende, une citation d’Audrey Goutard tirée du Journal de France Deux du même jour : « Ils vivaient dans une petite épicerie tapie dans l’ombre ».

    *

    S’arrêter, comme nous le faisons après Tarnac devant les immenses filets du Centre de Transmission de la Marine à Rosnay (Indre), cela s’appelle aggraver son cas.

    Il est interdit de photographier ces mâts de trois cent cinquante mètres de haut d’où descendent moult fils entremêlés. Je les compare banalement à des toiles d’araignée, mais, a-t-elle écrit sur le carnet où elle résume notre périple, « ça a quelque chose de marin finalement, hyper léger comme des mollusques translucides ».

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