• Au Musée Robert Tatin à Cossé-le-Vivien

                Jour de Toussaint, la semaine dernière, jour de visite du Musée Robert Tatin au lieu-dit La Frénouse à Cossé-le-Vivien en plein bocage mayennais. Il est quatorze heures, devant la porte de l’accueil deux femmes quadragénaires et elle et moi. La porte s’ouvre. À l’intérieur, les deux responsables du lieu en ce jour férié, jeunes femmes bruyantes et accaparantes. Elles nous gavent de conseils et de mises en garde. L’une d’elles veut absolument nous accompagner et tout nous expliquer. Je lui dis que non merci. Elle se rabat sur le couple de visiteuses.

                J’entre avec celle qui me tient la main dans l’allée des Géants qui mène au musée proprement dit, une allée bordée de dix-neuf statues monumentales, jalons du parcours de Robert dans la vie : Jeanne d’Arc, Vercingétorix, Avoir, Etre, Sainte Anne, La Vierge de l’Epine, Le Maître Compagnon, André Breton, Le Douanier Rousseau, Gauguin, Seurat, Auguste Rodin, Léonor Fini, Alfred Jarry, Ubu Roi, Toulouse-Lautrec, Valadon et Utrillo, Pablo Picasso et Jules Verne.

                Des statues fantasques et extravagantes, devant chacune nous nous attardons et je la photographie surveillé de loin par la soûlante qui s’assure qu’on ne touche pas. D’une voix pédagogique, elle donne des explications à l’autre bout de l’allée au couple de visiteuses. J’entends bruyamment parler du Jardin des Méditations. Je l’interpelle pour lui dire que justement on aimerait bien méditer un peu tranquillement, que c’est bien dommage que Robert soit mort et pas là pour nous recevoir, qu’il devait être bien moins soûlant qu’elle, que les artistes sont toujours remplacés par des bavards et que si elle pouvait nous laisser tranquille ce serait une bénédiction. Elle s’en va quelque peu vexée sans omettre de nous signaler que pour visiter la maison ce ne pourra se faire sans elle.

                Un peu de silence enfin, nous faisons le tour de « L’Etrange Musée de Robert Tatin », immense et foisonnante architecture sculptée, abritant ses céramiques, ses dessins, ses peintures et autres œuvres. Devant nous s'élève la porte des Géants, les cinq peintres favoris de Robert Tatin : Rembrandt, Van Gogh, Léonard de Vinci, Goya et Delacroix. Sur les murs d'enceinte figurent des bas reliefs renvoyant à diverses mythologies et là un dragon à énorme tête.

                Nous franchissons les portes du Musée. Celui-ci s'organise autour d'un bassin en forme de croix de Saint André tel un patio ou un cloître (le Jardin des Méditations). En face de nous, une statue haute de six mètres cinquante, sorte de menhir appelé Notre-Dame-Tout-Le-Monde. À droite, au soleil levant, c'est la Porte du Soleil, haute de cinq mètres cinquante, construite comme un dolmen avec pour piliers deux statues évoquant l'île de Pâques. À gauche, au soleil couchant, c'est la Porte de la Lune, haute de cinq mètres cinquante et large de six mètres, sorte de panneau en bas reliefs de connotation mexicaine. Tout autour du jardin des sortes d’alcôves où sont exposée peintures, dessins, céramiques et vêtements créés par Robert.

                Reste à voir la maison et je vais donc rechercher mon amie la conférencière qui nous ouvre la porte et la bouche bien fermée nous fait passer de pièce en pièce à l’exception de la chambre. Rien n’a changé depuis que Lise, troisième femme de Robert, est partie vivre ailleurs, brosse à dents, rasoir, livres (Boris Vian, David Hamilton), revues (Planète, Plexus), téléviseur (qui fait ricaner le couple de visiteuses). Nous sortons dans le jardin, là se trouve la tombe de Robert Tatin, qui vécut à La Frénouse douze ans au milieu des ragots, de l'incompréhension et de la suspicion du voisinage, un artiste que je regrette n’avoir pas connu de son vivant comme j’ai eu la chance de connaître Robert Vasseur, le créateur de la Maison de la Vaisselle Cassée à Louviers.

                « Il n'y aurait qu'à regarder et à voir, si tu peux regarder et voir de tes propres yeux : tu sais peindre. Il n'y a pas à savoir dessiner, tu vois bien, alors tu trouves les moyens de dessiner à ta mode. Il s'agit de trouver par toi-même tes propres signes, il s'agit encore de signifier tes propres signes, avec foi, avec violence, avec la paix, avec tendresse et autres et autres. Il s'agit de peinturer en se souvenant de la parole de Chesterton : "tout enchaînement d'idées peut conduire à l'extase, tous les chemins mènent au royaume des fées". », c’est Robert Tatin qui le dit, ce fils de forain, tour à tour boulanger, maçon, sculpteur, céramiste, peintre, compagnon charpentier, grand voyageur et avant tout « auto-dit-d’acte ».

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