• Au Tribunal Administratif de Rouen pour soutenir une famille arménienne

    Jeudi matin, il fait beau et froid, un vrai temps de letton, me dis-je en songeant à celle que je ne reverrai que le vingt et un mars pour la raison qu’elle prend l’avion ce midi à destination de Riga avec toute sa classe et ses professeur(e)s. Je fais un tour au marché des Emmurées, rive gauche, d’où je reviens sans aucun livre. J’évite d’emprunter le tunnel installé devant le Palais des Congrès que je trouve trop proche de la machine à dévorer le béton. Je sens l’accident possible, pas envie de finir sous les ruines. J’emprunte l’autre tunnel, plus sûr, la Cathédrale, entrant par la porte principale, sortant par la latérale. De retour chez moi, j’envoie un message à mon amoureuse, lui souhaite un bon voyage. Je ressors, passe par Le Rêve de l’Escalier, où aucun livre ne m’attend, et dirige mes pas (comme on dit) vers le Tribunal Administratif où, à onze heures, est convoquée une famille arménienne (les parents, deux filles majeures) de Maromme à qui la Préfecture de Rouen a envoyé une Obligation de Quitter le Territoire Français (une troisième fille mineure n’est pas concernée).

    L’huissier me dit qu’il y a du retard. Je vais prendre un café en face, reviens et trouve là une des filles en compagnie d’un étudiant en photographie de ma connaissance (il effectue un travail sur cette famille sans papiers). Arrivent les membres du Réseau Education Sans Frontières, d’Amnesty International, de la Ligue des Droits de l’Homme, de la Cimade, d’Artisans du Monde et des professeur(e)s de la plus jeune des deux filles majeures.

    Une très longue attente commence.

    Un peu avant midi et demi, nous nous levons à l’entrée des juges. La Présidente indique au jeune homme qu’il n’a pas le droit de faire des photos. Il le sait bien.

    Maître Madeline, du cabinet Eden, avec sa fougue habituelle, plaide le dossier des quatre indésiré(e)s. Elle insiste sur le fort soutien que reçoit cette famille, sur la pétition de plus de mille signatures, le parrainage du maire de Maromme, les lettres d’enseignant(e)s, la présence des associations dans la salle. Elle passe ensuite au fond, ne niant pas la difficulté du dossier : la famille n’est en France que depuis deux ans. Elle demande au Tribunal de tenir compte de sa tragique histoire : le frère du père assassiné en Arménie pour ses opinions politiques, le père accusant la police, sa maison brûlée en représailles, la fuite de toute la famille en Géorgie (les parents, les trois filles et un garçon de quinze ans qui y disparaît, sans doute enlevé), la fuite en Russie où ils sont à nouveau persécutés (l’aînée a une phalange coupée par une bande de skins), une nouvelle fuite à l’aide de passeurs qui les abandonnent un jour à Rouen (ils découvrent alors qu’ils sont en France). Pendant ces cinq années d’errance, les deux filles aînées (et la benjamine absente) ne sont pas allées à l’école. Elles ont appris le français en deux ans à Rouen et le parlent parfaitement.

    Pour la première fois depuis que je fréquente le Tribunal Administratif de Rouen, la Préfecture est présente en la personne de sa chef du service d’immigration. Elle s’emploie à démontrer que le Préfet a bien fait de délivrer ses quatre Obligations de Quitter le Territoire Français, parlant de la nécessité de défendre le « bien-être économique du pays » (jolie formule), et demandant au Tribunal de ne pas accorder de « titre de secours…. euh, séjour » (joli lapsus).

    C’est au tour de Madame le Rapporteur Public. Elle cite longuement moult jurisprudences et conclut au rejet des recours des quatre indésiré(e)s. Ce n’est qu’un avis. Le Tribunal jugera dans quelques semaines.

    Nous nous retrouvons dans l’antichambre pour faire le point. Il est treize heures trente quand chacun(e) rentre chez soi.

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