• Aure Felden et Jacques Higelin au Rive Gauche à Saint-Etienne-du-Rouvray

    Celle qui arrive de Paris vendredi après-midi, trempée par la pluie de la gare à chez moi, a quelque chose à me raconter. Dans le train, ayant envie d’aller aux toilettes et n’en trouvant pas d’ouvertes, elle s’adresse à un type qui lit Le Canard Enchaîné  vautré sur la banquette d’une voiture de première classe dont il est le seul passager:

    -Vous ne savez pas s’il y a des toilettes ouvertes quelque part dans ce train ?

    -Ah ça, mademoiselle, il faut poser la question au contrôleur, lui répond-il ironiquement.

    Elle se retourne un peu agacée et découvre qu’il s’agit d’Higelin. Elle lui dit qu’elle vient le voir en concert.

    -Vous avez des places ? lui demande-t-il.

    Oui, elle en a, ou j’en ai, plus précisément. Higelin lui souhaite de trouver des toilettes avant l’heure du concert.

    C’est en évoquant une nouvelle fois cette rencontre, sous la pluie tombant drue sur la voiture, que nous rejoignons le Théâtre du Rive Gauche à Saint-Etienne-du-Rouvray. Le concert est hors abonnement et les places non numérotées. Nous y sommes donc une heure avant l’ouverture des portes mais pas les premiers. Sur les vitres, une affichette annonce qu’à la demande de Jacques Higelin, il y aura une première partie piano voix avec une certaine Aure Felden. La pluie continuant, les arrivant(e)s s’agglutinent à l’abri de l’avancée en dépit de l’ordre d’arrivée, ce qui permet à l’ouverture aux derniers arrivés de passer avant les premiers.

    -Regarde-les, dis-je à celle qui me tient la main, ils viennent voir un concert d’Higelin et se conduisent comme de parfaits sarkozistes.

    Néanmoins, nous trouvons place à notre goût, pestant contre les responsables du théâtre. Ne pouvaient-ils pas numéroter les billets ?

    -Ça doit les faire jouir de nous faire attendre sous la pluie, me dit-elle un peu énervée.

    Je le suis aussi et encore plus quand les deux spectatrices derrière nous se mettent à parler de leur travail à voix aiguë. Je les incite à changer de conversation et bien vite le ton monte.

    -Je suis sûre que ça t’a fait du bien, me dit celle qui m’accompagne quand la paix est revenue. Les deux derrière parlent maintenant de l’amour des Cubains pour Che Guevara et les deux Castro, il vaut mieux que je ne m’en mêle pas.

    Sur scène, une fumée très Fuck You Shima précède de peu l’arrivée de l’inconnue du jour. Aure Felden est vêtue d’une ridicule robe noire à fanfreluches, elle joue mal du piano, a un mauvais accent anglais. Elle chante des chansons qui nous évitent de l’applaudir. Il y est question du monde (il va mal), de sa grand-mère (elle était gentille), du racisme (c’est pas bien), des femmes qui ont le cancer du sein (avec salut à celles présentes dans la salle et à leurs courageux compagnons) et de Paris au mois d’août (on s’y ennuie et il y fait chaud). Beaucoup applaudissent ça, mais tous deux on est contents quand elle s’en va avec sa robe à froufrous et ses baisers envoyés à tout le monde.

    -Où est-ce qu’Higelin est allée la chercher celle-là, dis-je à ma voisine de droite. Je comprends que les gens du Rive Gauche aient précisé que c’est à sa demande qu’elle chantait ce soir. Ils ne voulaient pas être tenus pour responsables.

    Il est vingt et une heures trente et Higelin va nous consoler, pensons-nous. Il est habillé comme dans le train, me dit-elle à son entrée sur scène. Hélas, nous déchantons vite (surtout moi). Ce soir, il est dans un état des plus étranges, bien différent de celui du train, surexcité, occupé à gesticuler et à soliloquer plutôt qu’à chanter, cela sous les rires complaisants de ses musiciens et d’une bonne partie du public.

    -Vous pensiez voir un chanteur, nous dit-il, vous avez un comique, ni plus doué ni moins doué que les autres comiques.

    Ce comique ne me fait pas plus rire que les autres comiques, mais celui qui derrière moi accompagne les deux folles du travail et de la dictature cubaine rit comme un veau.

    Pendant au moins une heure, Higelin ressasse sa jeunesse à coup de grosses blagues, une logorrhée qui tourne à la diarrhée. De temps en temps, il chante une chanson. Puis, soudainement, il se calme et ça devient bien. Plus un mot, il enchaîne des titres des années anciennes, au piano ou à la guitare. Pour l’un, il est accompagné par son percussionniste à tête de Michel Foucault.

    A la sortie, un spectateur handicapé en fauteuil met ça sur le dos de l’alcool dont les effets mettent un certain temps à se dissiper. J’ai plutôt l’impression qu’il s’agit d’autre chose.

    -Il doit vraiment être mal, me dit celle qui s’assoit à côté de moi dans la voiture.

    Je songe à ses précédents concerts, vus avec elle ou sans elle, bien déçu par celui-là. Irai-je au prochain, je n’en suis pas sûr.

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