• Carmen à l’Opéra de Rouen

     Ayant retiré mon billet vendredi auprès d’une guichetière déjà présente l’an dernier, et donc aimable, je me rends dimanche après-midi à l’Opéra de Rouen, lequel ouvre la saison avec Carmen. Lorsque j’arrive, un homme à micro donne quelques explications sur l’œuvre mais le volume du son n’étant pas assez élevé, je ne les entends pas. Sur les murs du foyer sont accrochés des tableaux signés Eric Héliot. Son sujet est la femme, sa peinture est décorative et inoffensive. Le bar a été refait, qui propose désormais une pâtisserie nommée cavatine créée spécialement pour la maison par l’Institut National de la Boulangerie Pâtisserie. Une affichette dévoile « l’astuce du barman » (bien qu’il y ait surtout ici des barmaids) : « Achetez avant le spectacle pour consommer pendant l’entracte. ». Acheter, consommer, comme ces mots sonnent bien aux oreilles de qui revient des Etats-Unis.

    Mon fauteuil, Emme Trente-Sept, n’est pas si mal situé. Contrairement à celles et ceux qui se trouvent au rang Enne, j’ai de la place pour mes genoux. C’est complet évidemment. Ma jeune voisine tente de lire Andromaque, mais range vite son petit classique. Il semble qu’on fête un anniversaire dans la fosse où s’accordent les musicien(ne)s. Des applaudissements saluent l’arrivée de l’invisible maestro Luciano Acocella. Ça démarre à fond, c’est Bizet.

    La mise en scène est du maître des lieux, Frédéric Roels. Elle est sobre et efficace. Vivica Genaux incarne une Carmen plus que crédible. Pauline Courtin fait fort bien la Micaëla de dix-sept ans et Florian Laconi itou le brigadier Don José. Les costumes sont de Lionel Lesire, contemporains. Cette Carmen désespagnolisée est très bien chantée par les trois principaux interprètes et j’aime particulièrement le jeu inquiétant du chœur des enfants (maîtrise du Conservatoire).

    A la fin du premier acte, bien que la salle soit dans une demi obscurité, une partie du public se lève croyant à l’entracte. Les ouvreuses font rasseoir.

    Lorsque l’entracte est vraiment là, qu’il est temps de consommer ce qu’on a acheté, j’observe le nouvel ancien Maire Robert, stratégiquement placé en haut de la volée de marches qui dessert le foyer, en grande conversation avec Frédéric Roels. Ce dernier en est-il heureux ou se dit-il « Putain, comme c’est chiant d’être obligé de discuter avec ces politiciens qui nous donnent de l’argent » ?, c’est la question que je me pose. Un flatteur vient se mêler à la conversation. J’entends qu’on se félicite de la présence d’un public familial.

    A la reprise, des chut par-ci par-là confirme la présence de ce public familial qui ne sait pas se taire. L’un des voisins de derrière que sa corpulence tient coincé dans son fauteuil ne cesse depuis le début de fredonner les airs trop connus. Cela énerve ma jeune voisine qui soupire. Le troisième acte est de transition. Au quatrième, on en vient au fait et Carmen meurt dans une mare de sang sous les yeux des enfants.

    Les artistes saluent en prenant garde de ne pas mettre le pied dans l’eau sanguinolente. Les applaudissements sont nourris mais ne se prolongent pas autant qu’ils le pourraient. Il semble que beaucoup soient pressés de partir, c’est l’heure de la soupe, il ne faudrait pas être coincé dans l’escalier ou au vestiaire ou dans l’embouteillage du parquigne.

    Pour ma part, je rentre tranquillement à pied, passant devant la sortie des artistes alors que la flaque de sang s’écoule dans le caniveau.

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