• Clovis Trouille au Musée d'Amiens

                Mercredi à Amiens, ville où l’on se sent bien, où il fait bon déambuler de la cathédrale, chère à John Ruskin, au quartier Saint-Leu, populaire et bordé d’eau, en passant par le parc Saint-Pierre, où je ne peux que m’allonger dans l’herbe au bord de la Somme avec celle qui m’accompagne. Comme le chantent les Fatals Picards : « Amiens, c’est aussi le tien ».

                Cette escapade a un but bien précis. Celui-ci nous conduit à l’heure de l’ouverture au musée de la ville, tranquillement nommé Musée de Picardie. A l’intérieur, une collection permanente mal installée et mal éclairée, le Musée d’Amiens aurait besoin d’un coup de jeune façon Musée de Rouen. Un certain nombre de peintres célèbres sont ici présents mais avec des œuvres mineures pour l’essentiel. Quelques tableaux m’arrêtent : un autoportrait de Georges de la Tour, deux bons Dubuffet, le Portrait de Jacques Dupin par Francis Bacon et un étrange Balthus lourd et triste, bien loin de ses réussites ultérieures, La Femme à la ceinture bleue, portrait d'Antoinette de Watteville, sa première épouse, pas vraiment une publicité pour le mariage.

                L’important est ailleurs, ce qui nous mène ici c’est l’exposition temporaire consacrée à Clovis Trouille qui fut étudiant aux Beaux-Arts à Amiens et ensuite peintre érotomane, anarchiste, anticlérical et antimilitariste tout en menant une vie pépère en famille dans son pavillon de Neuilly-sur-Marne d’où il partait tous les matins pendant quarante ans pour travailler dans une fabrique de mannequins. « Je suis pour l’art noir, pour le caractère maudit, je regrette la morale de la société bourgeoise » ainsi parlait Clovis qui ajoutait « Il est vrai que je n'ai jamais travaillé en vue d'obtenir un grand prix à une biennale de Venise quelconque, mais bien plutôt pour mériter dix ans de prison et c'est ce qui me paraît le plus intéressant ». Pas de prison pour Clovis Trouille qui déclarait « je ne peins pas pour le grand public mais pour un élite restreinte » mais qui eut quand même sa petite heure de gloire internationale quand l’Eden Theater de Broadway, en mil neuf cent soixante-neuf, reprit le titre d’un de ses tableaux Oh ! Calcutta ! Calcutta ! (elle en a un beau), pour une comédie musicale érotique dont une version française fut présentée ensuite en mil neuf cent soixante et onze à l’Elysée Montmartre.

                Vraiment j’aime cette peinture, naïve, poparteuse et bien kitch, où l’on croise entre autres le comte de Montesquiou, le marquis de Sade, André Breton, Raymond Roussel, Arthur Rimbaud, Sacher-Masoch et le comte de Lautréamont. L’Eglise en prend pour son grade : « J'ai toujours été contre l'imposture des religions. Est-ce en peignant la cathédrale d’Amiens que j'ai pris conscience de tout ce music-hall ? » s’interrogeait Clovis dont j’admire, avec elle, Le baiser du confesseur et La pécheresse de la cathédrale d’Amiens.

                Un tableau nous excite particulièrement, visible seulement par le trou du voyeur. La gardienne, femme d’allure réservée, nous offre à chacun le jeton nécessaire pour en voir plus. Il suffit de le glisser dans la fente pour éclairer un court instant l’intérieur du caisson où est enfermée cette œuvre circulaire nommée Le bon confesseur qui représente selon les dires de Clovis Trouille « une bigoudène communiant avec une banane devant deux curetons officiant avec l’hostie ». Je glisse mon jeton, elle glisse le sien et nous savons maintenant pourquoi cette oeuvre porte en second titre Le tableau pompier.

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