• Concert accentus (Gesualdo Verunelli Dusapin) à l’Opéra de Rouen

    -Qu’est-ce ça veut dire déjà oxymore ? J’ai oublié.

    Celle qui s’adresse ainsi à moi est assise à ma gauche au premier rang des chaises du dessus de la fosse à l’Opéra de Rouen ce vendredi soir, sexagénaire que je ne connais pas, étudiant comme moi le livret programme du concert donné par accentus sous le titre Voix intérieures. Je rafraîchis la mémoire de cette voix extérieure, puis me replonge dans ma lecture, pas excité du tout par les notes d’intention évoquant le sacré, la vie spirituelle, le cours du temps et la mort au bout. Un film vidéo de Julien Crépieux, tourné dans le désert américain, est chargé d’illustrer le propos chanté. Sa première image, fixe, est en fond de plateau.

    -Ça fait mal aux pieds, me dit ma voisine.

    Je lui demande de quoi elle parle. Des cailloux du désert de l’image.

    La salle n’est qu’à moitié occupée. Un jeune homme à micro explique comment regarder la vidéo Sans titre (Spaceship Earth) : surtout sur les bords si l’on veut se rendre compte du mouvement de la caméra filmant l’ombre porté d’un poteau électrique sur un sol caillouteux pendant une heure.

    Dans une semi pénombre, le chœur chante des extraits de Répons pour le vendredi saint et Répons pour le samedi saint de Carlo Gesualdo. D’où je suis, je ne peux lire les surtitres et c’est heureux. Derrière les interprètes, l’image fait toujours mal aux pieds. A l’issue de ce premier tiers, elles et eux quittent la scène. Pieter-Jelle de Boer, qui les dirige, reste seul face au désert jusqu’à leur retour, un peu plus nombreux, pour The Dark Day de la contemporaine Francesca Verunelli, « issue de l’Ircam », composition dans laquelle le chant laisse parfois place au son de petits harmonicas. Enfin, c’est Granum Sinapis de Pascal Dusapin, une œuvre composée pour sa « défunte mère ». A la fin, le paysage ayant lentement basculé sur l’écran, on aperçoit l’horizon.

    Comme toujours avec accentus, je suis content et les autres aussi. Julien Crépieux bénéficie également des applaudissements mais on ne peut pas dire que son film ait plu. Pour celles et ceux qui contrairement à moi (mais jamais jusqu’au bout comme aujourd’hui) n’ont pas déjà vu ce genre d’ennuyeuse vidéo à image quasiment fixe dans des galeries d’art contemporain, l’incompréhension est totale et se traduit comme souvent par de petites plaisanteries. « C’est le monteur du film qui aurait mérité des applaudissements. » entends-je à la sortie.

    *

    S’il est une chose dont j’aimerais être capable en ce moment, c’est de ne pas entendre ma voix intérieure.

    *

    Gesualdo, coupable du double assassinat de sa femme et de l’amant de celle-ci. Le Caravage également auteur d’un crime mortel en mille six cent six. Leur renommée artistique n’en a pas souffert.

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