• Concert Bach Bolling à l’Opéra de Rouen

    Etrange initiative que celle de l’Opéra de Rouen d’organiser un concert pour la Saint Valentin alors que son public est presque exclusivement constitué de vieux couples pour qui l’amour est un souvenir et de célibataires permanents pour qui l’amour est un fantasme. Eclairage rose, cœurs projetés sur les murs et roses sur les tables accueillent le public ce jeudi soir. Au programme, ce sont Bach et Bolling.

    Je suis en corbeille côté jardin et ai de nouveau pour voisine la vieille dame de l’autre soir qui me rappelle que je n’ai pas aimé qu’elle me dérange en partant avant la fin. C’était pour attraper son Teor, me dit-elle, le prochain était dans vingt minutes (ainsi sont organisés les transports en commun à Rouen). Devant nous sont deux couples de quinquagénaires bourgeois. Ils évoquent le restaurant qui vient d’ouvrir sur les quais dans le Hangar Dix. On y trouve un banc d’écailler comme à Paris. Derrière nous, un jeune célibataire discute avec une vieille amie, tous ses peutes ont trouvé un emploi maintenant sauf un qui après quatre cédédés chez Canal Plus n’y a pas obtenu de cédéhi, ce sont des chiens. La vieille amie lui parle de sa connexion Internet et lui demande s’il a gardé un téléphone fixe.

    -Moi j’ai gardé le mien chez France Telecom, lui dit elle.

    -C’est quoi France Telecom ? lui répond –il.

    Pour cette Saint-Valentin, l’Opéra de Rouen a choisi la Suite pour violoncelle numéro un en sol majeur que Johann Sebastian Bach composa l’année de la mort de sa première femme. Au violoncelle, c’est Florent Audibert, que l’on a soclé pour l’occasion. Son interprétation est malheureusement victime des toux récurrentes et d’applaudissements intempestifs entre les mouvements.

    On apprend alors par les ouvreuses qu’il y a un entracte bien que le livret programme indique le contraire. Je suis l’un des rares qui ose sortir. Il faut que le staff intervienne au micro pour que le mouvement vers le bar se fasse.

    Claude Bolling, surnommé Bollington par Boris Vian, est présenté sur le livret programme comme l’inventeur de la crossover music, laquelle mêle musique classique et jazz. Sa Suite pour violoncelle et trio jazz en est l’illustration. J’en aime le dialogue entre le piano (Laura Fromentin) et le violoncelle (Florent Audibert) par lequel débute chaque mouvement, mais quand s’en mêlent la contrebasse (Baptiste Andrieu) et la batterie (Romuald Lalis) cela me plaît moins. Cette musique jazzy serait à sa place au nouveau restaurant du Hangar Dix pour agrémenter le repas des bourgeois de devant, me dis-je.

    A l’issue, les applaudissements sont conformes, mais quand Laura Fromentin traverse la salle pour aller chercher un vieil homme, ils redoublent. « C’est lui, c’est Bolling », s’enthousiasme l’une des bourgeoises de devant. Marchant à petits pas, le compositeur félicite ses interprètes. Il reste sur scène pour la reprise du dernier mouvement qu’il recommande de jouer « pas trop vite », debout derrière la pianiste, dédaignant le siège qu’on lui a apporté des coulisses.

    Dans l’escalier de la sortie, j’entends un « Je croyais qu’il était mort. ».

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