• Concert Debussy/Messiaen à la Halle aux Toiles (pour l'Opéra de Rouen)

                Deux œuvres écrites dans des circonstances particulières et douloureuses au programme de l’Opéra de Rouen, mercredi soir, à la Halle aux Toiles. La lecture des présentations signées François Vicaire est indispensable et je m’y plonge sitôt installé en bonne place avec vue sur le clavier du piano.

                Claude Debussy est atteint d’un cancer pendant la première guerre mondiale quand il écrit sa Sonate pour violon et piano qu’il ne jouera que deux fois avant de mourir. « Par une contradiction bien humaine, elle est pleine d’un joyeux tumulte », écrit-il. Ajoutant : « Défiez-vous à l’avenir des œuvres qui paraissent planer en plein ciel, souvent elles ont croupi dans les ténèbres d’un cerveau morose. »

                Frédéric Aguessy est au piano et Elena Pease, longiligne et troublante, au violon. C’est la première fois que je l’entends dans une circonstance où elle peut mettre en évidence son talent personnel, où elle n’est pas noyée dans l’orchestre. Elle et lui, complices et concentrés, démentent la mauvaise opinion qu’avait Debussy de sa sonate « intéressante à un point de vue documentaire et comme un exemple de ce qu’un homme malade peut écrire pendant une guerre… ».

                Olivier Messiaen est prisonnier en stalag à Görlitz en Silésie pendant la deuxième guerre mondiale quand il compose, grâce à un officier allemand mélomane lui fournissant papier et crayons, son Quatuor pour la fin des temps qu’il jouera dans le camp en compagnie de trois autres musiciens prisonniers, l’ensemble des prisonniers s’étant cotisé pour acheter un violoncelle. Cette œuvre s’appuie sur une citation de L’Apocalypse de Saint Jean et, confirmant le propos de Debussy, alterne de longues plages sereines et des moments endiablés, bien loin de la tristesse inhérente aux circonstances dans lesquelles elle a été composée.

                François Pinel est au piano, Tristan Benveniste au violon, Jacques Perez au violoncelle et Mathieu Steffanus à la clarinette. La tension est palpable pendant leur interprétation de cette musique très physique, dans le public aussi, notamment durant le long solo de la clarinette et pendant le final piano/violon.

                C’est un gros succès pour tous les interprètes de cette soirée pendant laquelle j’oublie totalement les mauvais côtés de la Halle aux Toiles.

                Moins d’un an après avoir composé sa sonate, Debussy meurt de son cancer à l’âge de cinquante-six ans. Quelque temps après l’interprétation de son quatuor au stalag et grâce à cela, Messiaen et ses trois amis sont libérés par les Allemands.

                Dans une lettre à Robert Godet, Claude Debussy écrit à propos de son ultime sonate: « Vous qui savez lire entre les portées vous y verrez les traces de ce démon de la perversité qui nous pousse à choisir justement l’idée qu’il fallait laisser » le genre de remarques dont je suis friand et qui me font bien cogiter.

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