• Concert pour Haïti à l'Opéra de Rouen

    Un concert pour Haïti, je me demande un temps si j’y vais ou pas, puis me décide pour oui, pas pour les raisons que l’on pense. J’ai envie d’accélérer ce ouiquennede sans elle et je suis curieux de voir à quoi ressemble un concert de bienfaisance à l’Opéra de Rouen.

    Vendredi dernier, je tente d’acheter mon billet via Internet. Je renonce quand je constate que la charitable maison va me taxer de deux euros au prétexte de frais de dossier. Je me rends à son guichet, y offre mes vingt euros à la Fondation de France.

    Pour soutenir la généreuse initiative de certains musiciens de l’Orchestre (selon la formule de Frédéric Roels, directeur), on trouve sur le flayeure les noms du Cabinet Mazars (audit, expertise comptable, fiscalité et services aux entreprises), du Rotary International, du Lions International, du Kiwanis International, de Zonta International, de Soroptimist International (cinq organisations caritatives de dessus du panier), de la banque Céhicé et de l’Ordre des Avocats du barreau de Rouen, tout cela très chic.

    Le placement est libre. Fort de ma connaissance des lieux, je me poste en un endroit stratégique et, à l’ouverture des portes, m’installe en corbeille étudiant le programme. Il s’agit de musique de chambre. Une dame bourgeoise dit qu’elle croyait entendre tout l’orchestre et que si elle avait su. Un vieil homme se réjouit :

    -On a trois raisons d’être content, d’abord ça nous fait un concert supplémentaire, ensuite on commet une bonne action et enfin on n’est pas mal placé.

    La salle est a demi occupée quand entre en scène le comédien Patrick Verschueren. Il cite le Révérend Père Aragon qui disait « Ce serait vivre pour bien peu que de ne vivre que pour soi » et lit un poème de René Depestre Non assistance à poète en danger, puis place à la musique avec Frédéric Chopin Nocturne en do dièse mineur et Maurice Ravel Trio avec piano en la mineur.

    A l’entracte, on se plaint :

    -C’est ennuyeux, c’est ennuyeux, heureusement qu’on fait une béha.

    Un homme furieux explique qu’une placeuse l’a obligé à laisser son fauteuil à Frédéric Roels. C’est que l’excellent rang de corbeille où le directeur de la maison a place habituelle ainsi que le rang suivant sont aujourd’hui réservés aux dames de charité (et à leurs quelques messieurs) du Rotary, du Lions, du Kiwanis, de Zonta et de Soroptimist. Elles tiennent boutique durant cette interruption de musique, cherchant à recruter d’autres permanent(e)s de la compassion friquée, laquelle mène tout droit au Paradis.

    A la reprise, c’est le deuxième mouvement du Quintette à cordes en la mineur d’Antonin Dvorak puis le Quatuor pour deux violons, alto et violoncelle de Ludwig van Beethoven. Arrive ensuite Kouchyar Shahroudi pour l’une de ses compositions Niâyesh (prière) pour flûte seule. Il provoque des murmures. Je le trouve courageux d’oser présenter devant ce public passéiste une œuvre difficile débutant par un poème en persan. Les récalcitrant(e)s finissent par écouter et à l’issue, il est bien applaudi. Le concert s’achève, retour aux valeurs sûres, avec le Divertimento en ré majeur de Wolfgang Amadeus Mozart dont le dernier mouvement est bissé.

    Chacun(e) quitte l’Opéra avec le sentiment du devoir accompli.

    J’entends qu’il est question de reconstruire là-bas, à Haïti, où le principe de précaution n’a pas cours (c’est pareil en Guadeloupe, en Martinique, à la Jamaïque, à Saint-Domingue, à Porto Rico, tous sur la faille). Remettre ces miséreux dans des bâtiments qui ne seront pas antisismiques, c’est ce qu’on appellerait ici mise en danger de la vie d’autrui. Cela donnera lieu à d’autres beaux concerts. Comme disait Paul-Jean Toulet La charité n'est jamais perdue, pour ceux qui la font.

    *

    M’énervent ces journalistes, y compris à France Culture où l’on a pourtant connaissance du sens des mots, parlant, à propos d’un homme, d’une femme, ou d’un enfant retrouvé(e) vivant(e) sous les décombres dix ou douze jours après le tremblement de terre, de miracle et de miraculé(e), alors qu’il ne s’agit que d’une illustration de la mathématique loi des grands nombres.

    Partager via Gmail Yahoo!