• Concert romantique allemand à l’Opéra de Rouen

    Je suis en corbeille côté cour à l’Opéra de Rouen pour ouïr la musique de chambre proposée ce lundi soir, essayant de lire le livret programme malgré l’absence de loupiote au-dessus de ma tête. Le vieux rouspéteur assis derrière moi, qui réclame de la lumière depuis des années, ronchonne que la dernière fois ils étaient trois à solliciter le remplacement de l’ampoule et rien de fait. Plus loin à ma gauche, on se demande ce que vient faire une œuvre de Christophe Queval dans un programme intitulé Concert romantique allemand.

    Frédéric Roëls directeur, vient signaler un changement dans l’ordre des morceaux. C’est devenu une habitude. Quelques-un(e)s trouvent bon de l’applaudir.

    On commence avec le Quatuor pour piano et cordes en mi bémol majeur de Robert Schumann. L’altiste Patrick Dussard est en chemise beige, ce qui lui vaut, entre deux mouvements, d’être rhabillé par le rouspéteur de derrière « Il aurait dû se mettre en noir, mettre un veston ». Ce quatuor est une œuvre particulièrement lassante que j’applaudis du bout des doigts.

    Cela ne s’arrange pas par la suite. L’audition de Fêtes galantes – Trois madrigaux pour violon et alto de Christophe Queval me révèle la raison de sa présence au programme. Ces madrigaux sont profondément ennuyeux.

    -Regarde autour de toi, dit le ronchon à sa femme, ils sont tous en train de dormir.

    Il exagère. J’ai les yeux bien ouverts grâce à l’excellent café italien que m’a offert pour le Nouvel An celle qui étudie à Paris. Christophe Queval monte sur scène à l’issue et se fait copieusement applaudir avec ses deux interprètes, ce qu’on peut être poli à l’Opéra.

    A l’entracte, autour de moi, on livre le fond de sa pensée :

    -J’ai failli m’endormir, mais bon, on a déjà entendu pire.

    -Quand on le voit ça va, mais si France Musique donne ça, je tourne le bouton.

    A la reprise, l’une de mes connaissances s’assoit à ma gauche et c’est parti pour le Quintette à deux violoncelles de Franz Schubert. C’est long, long, long. Entre deux mouvements, les catarrheux crachent leurs poumons.

    -C’est un concert dans un sanatorium, me dit mon voisin.

    -Oui, on est à Davos.

    On s’y ennuie pareillement. Deux rangées plus bas se trouvent des musicien(ne)s qui ne semblent pas prendre beaucoup de plaisir à écouter leurs collègues.

    C’est, me dis-je, un quintette à cordes pour se pendre.

    Peut-être est-ce de tous les concerts auxquels j’ai assisté à l’Opéra le plus pénible. Les musicien(ne)s n’y sont pour rien. Je les applaudis et mon voisin itou.

    *

    Les sanatoriums, un qui en a connu plus d’un, c’est René Crevel dont je viens de terminer les Lettres de désir et de souffrance publiées chez Fayard en mil neuf cent quatre-vingt-seize. Beaucoup plus de souffrance que de désir dans ces missives envoyées à ses ami(e)s entre mil neuf cent vingt-quatre et mil neuf cent trente-cinq. Beaucoup ont pour destinataire Marcel Jouhandeau.

    Quelle barbarie la façon de soigner la tuberculose en ce temps-là. Crevel raconte comment on lui enlève six côtes, comment son bras en devient invalide, comment on le lui ranime à l’électricité, etc. Côté littérature, ça ne va pas mieux, les éditeurs refusent ses textes.

    Oui, le poumon malade est remalade. Il y a des bacilles. A Davos, un médecin très sérieux m’a dit que ce n’était rien. (lettre à Choura Tchelitchev, le onze février mil neuf cent trente-trois)

    A l’aube du dix-huit juin mil neuf cent trente-cinq, dans son appartement de la rue Nicolo à Paris, René Crevel ouvre le gaz.

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