• Convoqué au Commissariat de Police Beauvoisine

    Je remonte, jeudi matin, vers neuf heures moins le quart, une rue Beauvoisine très encombrée de voitures puis traverse le boulevard et sonne au Commissariat de Police. Une policière en uniforme est à l’accueil à laquelle j’explique que je suis convoqué pour neuf heures. Elle me demande ma carte d’identité, téléphone dans les étages et m’invite à attendre, ce que je fais en lisant Libération et en écoutant une dame qui essaie d’arranger les affaires de son père qui s’est fait voler tous ses papiers en Espagne.

    La policière me dit de monter au troisième. J’entre dans un bureau où se tiennent trois jeunes policiers à blouson de cuir. Celui qui m’a convoqué m’invite à m’asseoir. Les deux autres quittent les lieux. Les murs sont décorés de grandes affiches de films policiers. Une radio joue en sourdine. Une machine à café vient de fonctionner. Le policier me dit qu’il a un peu de mal à comprendre ce qu’on me reproche dans cette affaire. Je lui dis que moi aussi. Je lui demande quel est l’objet de la plainte. Il me parle de diffamation.

    Je dois d’abord répondre aux questions d’usage dont certaines m’étonnent. Ai-je une autorisation de port d’armes ? Non. Quel est le montant de mon loyer ? Je réponds à peu près. Quelle est la date de mon divorce ? Je n’en sais plus rien (on en met quand même une : mil neuf cent quatre-vingt-cinq, le premier avril).

    Le policier me lit ensuite ce qu’a déclaré l’ancienne commerçante rouennaise qui n’aime pas ce que j’ai écrit en deux mille neuf dans mon Journal au sujet de l’ouverture et de la fermeture de sa boutique. Elle parle de dénigrement, non de diffamation, ce que je fais remarquer à ce policier. En annexe du dépôt de plainte, début deux mille onze, sont jointes les copies de mes deux textes et celle d’un plus récent où je raconte comment cette dame m’a souhaité une très bonne année deux mille onze, via mon répondeur téléphonique.

    Le policier ne perçoit pas bien ce qu’est mon Journal. Il ne voit pas l’intérêt de passer sa vie à la raconter. J’essaie de le lui expliquer puis, en réponse à l’une de ses questions, je précise que je ne pratique jamais la diffamation, ni l’injure, ni l’atteinte à la vie privée, que mes propos sont du domaine de la liberté d’expression et de la littérature.

    Il veut savoir ce qu’il y a de littéraire dans le fait de raconter sa vie.

    -Ce qui est littéraire, c’est la façon de la raconter.

    Il prend note, comme de toutes ses questions et de toutes mes réponses. Ai-je l’autorisation de publier ce que j’écris ? Je n’ai pas besoin d’autorisation pour le faire. Vous allez encore écrire sur cette personne ? Je raconte ma vie, donc je vais raconter ma venue au Commissariat ce matin. Vous êtes obligé de raconter votre passage dans nos services ? Non, mais je vais l’écrire.

    Je lui fais remarquer que, dans mes textes, je ne donne jamais le nom de cette personne. Oui c’est vrai, me dit-il.

    On en arrive à la classique dernière question :

    -Reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés ?

    -Non.

    C’est le moment de l’impression du procès-verbal. Je le lis. Il est fidèle à mes propos. Je le signe.

    Le policier me dit qu’il va transmettre au juge. Soit celui-ci donnera suite à la plainte et il me rappellera, soit il ne donnera pas suite et il ne me rappellera pas. Il ajoute que la deuxième hypothèse est la plus probable. Je lui demande quand il le saura. Sans doute la semaine prochaine, me répond-il. Nous nous souhaitons une bonne journée et je redescends les trois étages. Il est un peu moins de dix heures. Dehors, le soleil pointe le bout de ses rayons.

    *

    Parler de littérature avec un policier, c’est comme parler de tauromachie avec un ours blanc.

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