• De galerie en galerie, à Paris un mercredi

                J’ai rendez-vous avec elle au Centre Pompidou et l’attends devant un café verre d’eau à La Mezzanine d’où je surveille les portes. Elle arrive, le visage marqué. Trois jours qu’elle a repris la classe et déjà extenuée. Un jour, il faudra faire le procès de ces grandes écoles où jeunes gens et jeunes filles, sous prétexte d’études, sont victimes de maltraitance.

                Je l’invite à me suivre jusqu’à la galerie Darthea Speyer pour y voir les œuvres de Peter Saul et d’accord me dit-elle, nous voici bientôt rue Mazarine où, nous l’apprenons au passage, Fred Deux propose « la vie antérieure », galerie Olivier Vanuxem. La porte est fermée au verrou mais surgit derrière nous le maître des lieux. Nous entrons après lui et découvrons les dessins peuplés d’êtres fantasmagoriques de l’ancien surréaliste. Ces dessins réalisés entre mil neuf cent soixante et deux mille (Fred Deux a quatre-vingt-quatre ans) nous plaisent bien.

                Un peu plus loin, c’est la courte rue Jacques-Callot où se tient la galerie Darthea Speyer créée en Mai Soixante-Huit par celle qui fut conseillère culturelle américaine. Pour les quarante ans, elle expose des œuvres de Peter Saul datant de mil neuf cent soixante-huit à mil neuf cent soixante et onze, de grands tableaux colorés tenant du pop art, de l’expressionnisme et de la figuration narrative, imprégnés de San Francisco (sa ville natale) et des combats pour l’émancipation des Noirs du temps d’Angela Davis. Peter Saul a soixante-quatorze ans, il est temps qu’elle et moi fassions connaissance avec son œuvre. La maîtresse des lieux nous parle de l’influence qu’il a exercée sur de nombreux peintres, notamment Bernard Rancillac présenté chez le voisin Laurent Strouk.

                Chez Laurent Strouk, l’exposition d’œuvres récentes de Bernard Rancillac (âgé de soixante-dix-sept ans) a pour titre Orchidée et c’est bien vu car chaque toile est dévorée par une immense orchidée. John Coltrane, Chet Baker, William Burroughs, Joséphine Baker et d’autres essaient de s’y faire une place. Cette narration figurative ne nous emballe pas, cela sent le réchauffé et puis trop d’orchidées. En revanche, la galerie elle-même, deux niveaux de béton brut liés par un sobre escalier, nous séduit. Je lui propose d’aller dîner pour dix euros dans l’un de ces restaurants grecs ou de ces établissements à fondue tenus par des patrons venus de l’Est et dont les cuisiniers sont Pakistanais

                Pour cela, nous tournons à gauche rue de Seine et que vois-je ? L’écriture de Ben sur les murs de la galerie Lara Vincy. Je pousse la porte et elle me suit.

                C’est ici Le summum du luxe Fluxus que se partagent Ben Vautier, Charles Dreyfus et Takako Saito. Là aussi c’est un peu du réchauffé, mais on aime bien les pendules erratiques de Charles Dreyfus (Temps danse). Elles ont, semble-t-il, un effet néfaste sur l’humeur de la galeriste et de son assistant, lesquels se chamaillent. Ben ironise sur la crise et plaint la moulinette qui n’a pas eu la chance comme son cousin le porte-bouteille de révolutionner l’art.

                Avant de quitter les lieux, nous utilisons la boule à questions. Elle commence, posant sa question mentalement, puis retournant la boule de Ben qui lui donne pour réponse « Une chance sur deux ».

                -A toi, me dit-elle.

                Je pose ma question mentalement. « Essaie encore » me dit Ben. Je ne le fais pas, préférant considérer cela comme un conseil d’ami à me remémorer chaque jour.

    Partager via Gmail Yahoo!