• Dernière journée à Bordeaux, avec échappée à Lormont

    Aucune trace de l’équipe du film de télévision ce jeudi matin à l’hôtel mais l’employée me porte quand même mon dernier petit-déjeuner dans la chambre que je quitte un peu plus tard sous un soleil déjà radieux avec l’intention d’aller voir un village nommé Lormont sous le pont d’Aquitaine.

    Le tram Bé dans lequel je suis monté ne m’emmène qu’au pont Chaban-Delmas. J’attends le suivant qui va plus loin et m’aperçois alors que Lormont c’est de l’autre côté de la Garonne. Je demande à une dame assise s’il est possible de prendre le pont d’Aquitaine à pied. Elle me regarde éberluée, jamais personne n’a fait ça à sa connaissance, il est tellement grand. Quand je lui dis que c’est pour aller à Lormont, elle m’indique le bus Sept. Effectivement, il passe le pont de Chaban et tourne à gauche. Je descends à Lormont Bas, là où se trouvent quelques commerces et l’église du village, mastoc. J’en fais des photos ainsi que du pont d’Aquitaine, sorte de Tancarville en moins beau, qui écrase les maisons.

    Je reviens par le même bus jusqu’au pont Chaban-Delmas que j’emprunte à pied. Il ressemble au pont Flaubert de Rouen mais en plus malin : quand il se lève c’est d’un seul bloc. Je regagne le quartier des Chartrons par les quais et prends un café près du Centre de Congrès de la Cité Mondiale, l’un des rares bâtiments d’architecture moderne de la ville. Des garçons à cravate sont en pause. L’un envisage de changer de voie, d’aller « élever des chèvres dans le Larzac » où il n’y a pourtant que des brebis.

    Je réserve ensuite une table à l’Olivier des Chartrons où l’on m’appelle désormais Monsieur Michel. À midi, j’y suis en terrasse et en chemise, agréable adresse dont le menu change chaque jour et est à base de produits frais. Le service est assuré par un père et son fils aidé d’un troisième homme que j’imagine venu d’Australie ou de Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, c’est carpaccio de bœuf au pistou, pavé de morue et son aïoli avec des pommes frites et fondant au chocolat, tout cela accompagné de bordeaux supérieur. Près de moi mangent père, mère et fils, celui-ci venu dans cette ville pour passer un entretien. La mère lit Nymphéas noirs de Michel Bussi, l’écrivain rouennais bientôt aussi célèbre que Musso et Levy. Elle trouve ça bien parce qu’il a eu cinq prix littéraires.

    -C’était la dernière fois, dis-je au restaurateur fils en payant.

    -Vous rentrez où, Monsieur Michel ?

    -Rouen.

    -Mes condoléances.

    En allant m’alléger à l’hôtel, je constate que la télévision est arrivée, quelques camions techniques et une voiture de luxe équipée de caméras pour la filmer en déplacement. Des hommes sont en train de la lustrer et l’un se fait engueuler car il doit avoir quelque chose de gras sur lui, il fait des taches. Sur la porte d’un des camions, une affiche dit que le jour où on ne se sent pas à la hauteur, il faut se souvenir que le grand chêne a lui aussi commencé comme un gland.

    Pour mon dernier après-midi ici, je ressors lire au bord de la Garonne. Comme chaque jour de cette fin d’hiver estivale, beaucoup de monde s’agite ou glandouille sur les quais et les pelouses dans une atmosphère de « vivons heureux avant la fin du monde ou du moins avant la troisième guerre mondiale ». Je termine vers dix-sept heures ma relecture des Chroniques de Varsovie de Kazimierz Brandys.

    *

    Heureusement qu’il a fait beau pour ma semaine à Bordeaux, je pense que sinon j’aurais trouvé le temps long, contrairement à ce qui s’était passé lors de mes escapades en solitaire à Lyon, Strasbourg, Marseille et Nantes.

    *

    Une dernière nuit rue de la Verrerie, vieille ruelle pavée sans commerces, cachée au bout du quartier des Chartrons, dans le petit Hôtel du Parc signalé par un simple panneau lumineux « hôtel » dès que la nuit est tombée.

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