• Dernières nouvelles de l’observatoire de la vie intime

    Un véritable observatoire de la vie intime que ces maisons à pans de bois, la mienne est idéalement placée, autrefois réservée à la sœur tourière de la communauté religieuse qui occupait les lieux jusqu’aux années quatre-vingt, et donnant sur la venelle, c'est-à-dire chez les voisin(e)s d’en face. L’intéressant, ce n’est pas tant ce qu’on voit que ce qu’on entend. Ce mercredi matin, des éclats de voix m’attirent à la fenêtre. Au rez-de-chaussée de la maison d’en face, une vive discussion a lieu entre la propriétaire bourgeoise et ses deux locataires ouvriers. Ceux-ci sont là depuis le début juillet, un Noir et un Blanc, d’un âge avancé.

    L’appartement est meublé à moindre prix. Sa grande fenêtre qui ne voit jamais le soleil est munie de barreaux. S’y tiennent prisonniers pendant l’année scolaire des étudiant(e)s plus ou moins studieux. Pendant les vacances, la bourgeoise propriétaire loue ponctuellement à des visiteurs via l’Office du Tourisme. Faute de touristes intéressés cet été, elle a loué à ces deux ouvriers qui ne sont là qu’en semaine. Dorment-ils tous les deux dans le lit rudimentaire, je ne sais.

    Il semble que le conflit soit dû à un départ anticipé. Ils en avaient pris pour deux mois et ont changé d’avis, ou bien le chantier a duré moins longtemps que prévu. La femme ne veut pas leur rendre l’intégralité du dépôt de garantie. Encore est-elle bien gentille, l’entends-je dire, d'accepter d'en rendre une partie.

    L’ouvrier blanc ne dit pas un mot. C’est son collègue qui discute avec la logeuse. Il dit que ce n’est pas juste.

    -C’est marqué dans le contrat que vous avez signé, lui répond-elle. Vous savez lire non ?

    Il répète que ce n’est pas juste. Elle répète qu’elle est bien gentille, qu’elle pourrait garder tout, qu’elle en a le droit.

    Les deux hommes finissent par sortir, portant de lourds sacs en plastique où sont leurs affaires. L’homme noir dit « Au revoir Madame », la regardant avec les yeux d’un qui s’est fait posséder. Elle lui répond avec l’assurance des possédants, pour qui la loi est faite. Je referme ma fenêtre.

    *

    Un peu plus tard, j’entre à l’agence immobilière Cegimmo. Personne à l’accueil, j’entends au loin quelqu’un bouger du papier. J’appelle, en vain. J’appelle plus fort. Arrive le patron. Je me présente, donne mon adresse.

    -Ah oui, la petite impasse qui passe sous les maisons, me dit-il.

    Je lui dis que c’est une rue, pas une impasse. Il a du mal à l’admettre. Je lui résume mes problèmes, le menuisier qui a appelé un jour où j’étais absent et que je n’ai pu recontacter, la fuite d’eau qui se poursuit du côté du cumulus.

    Il note ça sur un petit papier, la secrétaire est en vacances, il ne sait quoi me dire. Peut-être a-t-il raison quand il prétend que j’habite dans une impasse.

    Partager via Gmail Yahoo!