• En Basse-Normandie (de Barfleur à Carteret par la côte avec arrêt chez Jacques Prévert)

    L’église de Barfleur sonne tous les quarts d’heure pendant la nuit, plus guère d’églises qui aient cette liberté. J’aime l’entendre entre deux phases de sommeil, comme j’aime être réveillé à deux heures du matin par les marins pêcheurs. Un bateau est déchargé avec un bras articulé directement dans un camion. Un autre quitte le port où clignotent les sémaphores.

    Au matin, c’est à nouveau marée basse et le petit-déjeuner se prend à côté, au Café de France tenu par le frère de ma logeuse. Au comptoir sont deux gars d’ici dont un chasseur qui raconte ses vacances en campigne-car dans les gorges du Tarn : « Aline, j’y aurais mis une olive dans le trou du cul, j’en aurais tiré de l’huile tellement elle serrait les fesses. » Côté temps, « on n’est pas prêt d’avoir de l’eau » même si le ciel est couvert pour l’instant.

    Je choisis de rejoindre la pointe de la Hague en longeant la côte et sans m’arrêter à Cherbourg. En revanche, je fais halte dans le joli port d’Omonville-la-Rogue que connaît bien celle qui n’est pas avec moi, pour y avoir de la famille, avec à l’esprit notre passage en ces lieux autrefois, puis fais le crochet d’Omonville-la-Petite où je salue Jacques Prévert et Alexandre Trauner aux tombes voisines pareillement fleuries. Je monte ensuite jusqu’au Val où habitait le premier dont on peut visiter la maison. On y entre par une porte basse et étroite (Jacques Prévert mesurait un mètre soixante et onze, m’apprend la gardienne). La pièce principale est à l’étage sous le toit, vaste atelier à longue table, où je suis seul, de même dans les deux petites chambres d’amis et au rez-de-chaussée, autrefois cuisine et salle à manger dont le dallage est dû à Trauner et où est montrée une exposition consacrée à Prévert et la chanson. Parmi les documents affichés se trouve une photo des Rolling Stones datant de mil neuf cent soixante-huit : « Best wishes Jacques, Bill Wyman ».

    Devant la pénurie de restaurants ouverts le lundi, je ne peux qu’envisager rejoindre la ville de Beaumont jouxtant la fichue usine radioactive qui défigure le paysage sur des kilomètres. Mal m’en prend : une manifestation de la Cégété bloque le rond-point à l’arrivée (dont je réussis à m’extraire) et le Restaurant de la Poste que me recommande une dame du pays propose certes un menu ouvrier (avocat garni, cuisse de dinde, tarte au citron meringuée, un quart de vin, pour douze euros cinquante) mais sa cuisine est sommaire.

    Le carrefour n’est plus bloqué lorsque je retourne au Nez de Jobourg et à la Pointe de La Hague, petit bout de Bretagne ou d’Irlande en Normandie. Je suis le sentier des douaniers sous un soleil resplendissant. La mer est d’un bleu parfait. Aurigny est bien visible.

    Se loger s’avère également difficile. Longeant la mer, frôlant la centrale en activité et celle en construction à Flamanville, j’arrive à Carteret. Avec l’aide de la jeune femme de l’Office de Tourisme, je trouve une chambre à cinquante euros sans petit déjeuner en la Résidence Maison d’Hôtes L’Ermitage dont le nom ronflant cache des chambres sans charme et décaties. Du moins ai-je la vue sur la mer absente (pour cause de marée basse) par un Velux.

    C’est à la terrasse de l’Hôtel de la Marine, le plus luxueux de la ville et la seule ensoleillée en fin d’après-midi, que je prends un café au prix parisien en continuant ma lecture d’Une femme à Berlin. La mer est toujours basse et le port de Carteret a triste mine.

    Heureusement, quand la nuit tombe, l’eau revient rapidement dans le port. De mon Velux, j’observe la rentrée des bateaux de pêche et les camionnettes blanches venues chercher le poisson qui se succèdent au débarcadère en un ballet continu. A vingt et une heures, tout est terminé. Que non, arrivent un gros camion frigorifique et le dernier bateau, L’Héritage, de couleur orange, immatriculé à Jersey.

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    Prévert, je me demande ce qui lui a pris de venir se perdre là, de plus en tournant le dos à la mer, juste une petite coulotte passant au bout de son jardin.

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    Au mur du bureau de la Résidence Maison d’Hôtes L’Ermitage : des affiches à la gloire de l’Heupéherre. Parmi ceux qui dorment ici : des ingénieurs d’Heudéheffe. Je me tiens à carreau.

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