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En étudiant le dossier d’Eugénie Guillou, religieuse et putain
Daniel Grojnowski est allé fouiner dans les dossiers de la Préfecture de Police de Paris. Il y a pêché celui d’Eugénie Guillou, religieuse et putain, et l’a publié sous ce titre en avril deux mille treize aux Editions Pauvert (qui n’ont plus rien à voir avec Jean-Jacques). Buvant un café verre d’eau au Socrate, je l’étudie à mon tour.
Eugénie entre à dix-neuf ans comme novice chez les sœurs de Sion où elle prend le nom de Marie-Zénaïde. Pour une cause indéterminée, elle se voit interdire de prononcer ses vœux. Elle quitte le couvent, disparaît pendant un certain nombre d’années et reparaît par le biais de petites annonces où elle propose à qui veut, moyennant finance, de la fouetter ou fesser.
Elle y renonce assez vite car ça fait trop mal : ce jeune Monsieur que j’ai vu chez vous m’a fait des marques qui ont duré longtemps, et tous y vont trop brutalement. Elle décide alors de ne plus payer de sa personne, de fouetter à son tour, habillée en religieuse, et s’adjoint quelques aides, présentées comme mineures, d’où l’intérêt que la Police bientôt lui porte :
La nommée Guillou de Launay a fait connaissance d’une jeune fille âgée de vingt et un ans, soi-disant, mais qui habillée en jupe courte n’en paraît pas plus de quatorze ans. De plus, elle a rencontré l’abbé Bouteyre, à eux trois ils font des scènes de proxénétisme dans lesquelles on fouette la petite fille. (rapport du trois octobre mil neuf cent deux, signé de l’inspecteur adjoint Pages)
Un indicateur va voir de quoi il retourne en décembre de la même année. Se faisant passer pour un potentiel client, il fait parler Eugénie :
Eh bien voici, j’ai cherché dans tout Paris des jeunes filles toutes minces, petites et paraissant à peine treize à quatorze ans. Je les fais venir moyennant une modique somme et leur fais la classe dans la salle d’études sur le côté de laquelle est placé un rideau percé de deux trous, le premier à hauteur des yeux, le deuxième à hauteur des boutons de votre pantalon.
Notre homme prend rendez-vous et rend compte à ses supérieurs :
Il y aura trois fillettes. Nous avons essayé le rideau pour voir si la hauteur correspond à la… mienne. Elle me mettra aussi un loup sur la figure afin que les fillettes, si elles me rencontrent dans la rue, ne puissent me reconnaître. J’ai demandé, afin que vous puissiez bien établir le délit sans aucun embarras, qu’elle fera entièrement déshabiller les fillettes.
Le dix décembre la Police déboule et constate que les trois fillettes ont entre vingt et vingt-deux ans.
Bientôt, Eugénie (qui se fait appeler Madame de Florinval ou madame Erzy) n’hésite pas à assurer sa tranquillité en dénonçant la concurrence après du commissaire de police de son quartier :
Quand vous enverrez dans mon quartier un de vos employés, auriez-vous l’obligeance de lui dire de passer chez moi pour que je vous donne l’état-civil d’une mineure de dix-huit ans et de deux sœurs de Levallois-Perret qui font des rendez-vous chez une modiste du bd Haussmann ?
Cependant, elle-même est victime de la médisance :
Plusieurs fois par semaine des mineures (filles et garçons, quatorze à seize ans) sont là à la disposition des clients et Madame Erzy, pour exciter ceux-ci, fait quelquefois des tableaux vivants avec les enfants. Il n’est pas rare qu’un client sérieux passe une heure enfermé avec une ou deux petites filles et un ou deux petits garçons. (signé illisible, le vingt-huit mai mil neuf cent sept)
En mil neuf cent douze, Eugénie Guillou tente une reconversion (lettre à Monsieur Lefils, service des garnis, Préfecture de Police, le douze octobre) :
Tout ce qui se rapporte à la police secrète m’a toujours beaucoup intéressée et attirée ; j’aurais le plus grand plaisir à me voir devenir actrice dans la recherche des crimes ou des délits, ayant l’imagination fertile en expédients et trucs de toutes sortes à cet effet (…) En me présentant par exemple dans une maison de rendez-vous comme une mère voulant livrer sa fillette, je pourrais parfois vous donner d’utiles renseignements sur les tenancières que vous suspectez de faire ce trafic abominable.
Ce sera sans succès. Elle cherche alors à trouver un mari par petite annonce. Il est temps, à cinquante-deux ans :
Naguère fleur ignorée dans l’ombre d’un cloître, âge moyen physique sympathique nature mystique et douce regrettant la vie austère d’antan, que n’ai-je un foyer me la rappelant ! Quel mari d’âge sérieux, aisé, aimant et ferme réalisera mon rêve ?
C’est alors qu’on perd sa trace.
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Du bon usage de l’imparfait du subjonctif :
Les demoiselles Rhédon autorisent beaucoup de familiarités. Coïc m’a dit souvent qu’on leur prenait les mains, voire même la gorge et le cul, sans qu’elles s’en formalisassent. (Stendhal, lettre à un correspondant non désigné, Civita-Vecchia, le onze avril mil huit cent trente et un)
Petit extrait d’une autre de mes lectures : Correspondances amoureuses, volume neuf des Grands Classiques de la littérature libertine (Editions Garnier/Le Monde), introduction et notes d’Yvan Leclerc, le spécialiste de Gustave Flaubert.